Les repas aussi me démantelaient, que je prenais avec eux.
Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 11.
Sans doute n’est-ce pas cela seul qui vous rend si heureux, cependant ; mais plutôt cette adéquation soudaine, presque violente et tellement inattendue, du rêve avec la marche, de l’insomnie passée avec le beau temps présent, du désir avec le silence, avec l’air, la vue, les ajoncs, les chemins blancs, la rivière. Surprise : me voici dans ma propre vie…
Renaud Camus, « samedi 13 février 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 45.
Je dis que je ne veux rien faire
je m’en vante
que je ne veux pas aimer
travailler décider agir
qu’une vie de lierre de mousse
ou de lichen est mon idéal
quelle prétention que de pauvres
sottises qui contiennent sûrement
à des fins de plausibilité
les traces de microscopiques
parcelles de vérité
Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 57.
Il est reposant de rouler sur le plateau de Saclay, entre les labours et les bois défeuillés, noirs contre le ciel qui s’est éclairé, enfin, d’un bleu pâli, convalescent, où flotte le soleil falot de février.
Il fait un peu de vent. La température n’excède pas un ou deux degrés et mes vieilles cicatrices d’opération, dans la gorge, se remettent à vivre, dessinent, dans l’épaisseur de la chair, une bizarre et douloureuse géographie.
Pierre Bergounioux, « samedi 2 février 1991 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 13.
L’ethnographie non plus ne nous aide pas : voyez le peuple le plus mélangé du monde, les Américains ; c’est pourtant celui dont l’identité raciale saute le plus aux yeux ; en cent ans d’histoire, les États-Unis ont produit une race aussi reconnaissable que les peuples les mieux enfermés géographiquement. La morphologie américaine, issue de tant d’hérédités différentes, est si pure, qu’elle résiste à tous les travestis ; leur cinéma a beau nous montrer les soldats de Pilate, les compagnons de Jeanne d’Arc ou les courtisans de Marie-Antoinette, c’est toujours la tête de Truman ou celle du détective de service que vous repérez sous le casque romain, la galette médiévale ou la perruque Louis XVI. D’où le grand effet d’hilarité de leurs reconstitutions historiques.
Roland Barthes, « Visages et figures », Œuvres complètes (1), Seuil, pp. 268-269.
À quoi bon ajouter son grain de sel à cet océan de mots ? Et pourquoi pas ? Et si la littérature était devenue affaire de modestie. On ne sait jamais. L’orgueil a de ces tours.
Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 437.
Jules Renard et Fernando Pessoa sont morts à l’âge que j’ai aujourd’hui. Vous ne voyez pas le rapport.
Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 54.
Ce que je préfère : qu’on me fiche la paix. En cela le mail a été une grande avancée par rapport au téléphone. Je n’ai pas de portable, presque tout ce qui importe passe au quotidien par des messages écrits, silencieux, que je lis quand j’en ai envie. Le mail a été une reconquête du silence.
Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 76.
Les enfants sont là pour empêcher qu’arrive un événement sexuel. Les femmes les font pour mettre fin à la série de corvées d’événements sexuels auxquels les obligent les hommes. Grandissant, les enfants interdisent peu à peu le rêve lui-même de l’événement sexuel. S’ils sont présents, c’est la possibilité même, flottante, de l’événement sexuel qui est arrêtée. L’enfant vient boucher les virtualités. L’enfant est décidé pour que le monde soit sûr.
Philippe Muray, « 5 août 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 132.
Nos proches devraient prendre soin de mourir à un moment où nous ne traversons pas une période d’atonie. Sans quoi, quel effort pour s’intéresser à leur mésaventure !
Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 944.