courrier

Un courrier n’est pas une lettre, une lettre ne saurait être un courrier. D’ailleurs, à moins qu’on veuille désigner une personne — ce qui n’est plus très fréquent —, ou que le mot soit accompagné d’un adjectif qualificatif (« Elle reçoit un courrier très abondant »), on ne saurait parler d’un courrier. C’est du courrier qu’il faut dire :

« Y a-t-il du courrier pour moi ?

— Bien sûr que non, vous êtes bien trop chiant ! Qui voulez-vous qui vous écrive ? »

Renaud Camus, « lundi 16 janvier 1995 », La salle des pierres. Journal 1995, Fayard, p. 46.

David Farreny, 20 mars 2002
rien

J’étais bien content. Ce furent des après-midi merveilleuses. Rien n’arrivait.

Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., p. 190.

David Farreny, 23 mars 2002
rivière

96. On pourrait se représenter certaines propositions, empiriques de formes, comme solidifiées et fonctionnant comme des conduits pour les propositions empiriques fluides, non solidifiées ; et que cette relation se modifierait avec le temps, des propositions fluides se solidifiant et des propositions durcies se liquéfiant.

97. La mythologie peut se trouver à nouveau prise dans le courant, le lit où coulent les pensées peut se déplacer. Mais je distingue entre le flux de l’eau dans le lit de la rivière et le déplacement de ce dernier ; bien qu’il n’y ait pas entre les deux une division tranchée.

98. Mais si on venait nous dire : « La logique est donc elle aussi une science empirique », on aurait tort. Ce qui est juste, c’est ceci : la même proposition peut être traitée à un moment comme ce qui est à vérifier par l’expérience, à un autre moment comme une règle de la vérification.

99. Et même le bord de cette rivière est fait en partie d’un roc solide qui n’est sujet à aucune modification ou sinon à une modification imperceptible, et il est fait en partie d’un sable que le flot entraîne puis dépose ici et là.

Ludwig Wittgenstein, De la certitude, Gallimard, p. 49.

Guillaume Colnot, 20 mai 2003
fureur

Savoir n’est pas nécessaire. D’abord, ça suppose qu’on prenne du recul, qu’on arrête un peu et le temps manque. Il y a trop à faire pour qu’on s’offre le luxe de s’interrompre un seul instant. Les choses sont là, obstinées dans leur nature de choses, corsetées de leurs attributs, rétives, dures, inexorables. Elles ne livrent leur utilité qu’à regret. Elles réclament toute la substance des vies qu’elles soutiennent. Encore le temps dont celles-ci sont faites ne suffit-il pas toujours. Il faut y verser quelque fureur. C’est à ce prix qu’on demeure.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 28.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
flambée

Le mariage n’est qu’une soudaine flambée de vieillesse.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 45.

David Farreny, 1er janv. 2006
cages

Violemment agitées les cages, mais toujours des cages.

Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1182.

David Farreny, 7 août 2006
empoignades

On n’a pas expugné une chimère qu’un troupeau, que mille se bousculent pour prendre sa place. On n’a jamais eu autant de souci qu’au moment d’embrasser un parfait repos. Il faut disputer avec tous les échos de la mauvaise part, opposer qu’il n’est pas plus déraisonnable de ne plus bouger que de faire le contraire, qu’il n’y a rien de criminel à préférer un goût de sève aux âcretés de la cendre et du sang, qu’il n’est pas moins légitime d’y sacrifier qu’à quoi que ce soit d’autre dont elles proclament l’importance.

Un tiers, un promeneur attardé rentrant par les bois et me découvrant le dos à un tronc, les jambes aux corps, les bras enserrant les genoux n’aurait jamais soupçonné de quelles empoignades féroces l’inertie de souche qu’il constatait était le fruit. Peut-être s’en serait-il douté en me voyant frémir, prendre appui dans l’humus, les feuilles sèches, esquisser le mouvement de me lever, lorsqu’une injonction péremptoire, inattendue, me touchait.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 70.

Élisabeth Mazeron, 14 juin 2010
ligne

Peu de temps auparavant, j’avais vu la fille de mon parrain – elle avait mon âge – toute nue. Elle avait un corps tout pareil au mien, mais chez elle la lisseur se continuait entre les jambes. Je trouvais cela très élégant et plus dans la ligne de la nudité que cette petite poussée de peau qui dépassait chez moi et qui ne s’associait à rien, et surtout pas à cette raideur qui le soir me venait pourtant au même endroit.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 88.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
nom

Fermes si bien enfouies dans la neige qu’on les dirait inhabitées, n’était un filet de fumée montant d’une cheminée ou un chien juché sur un tas de bois et aboyant en silence.

Äksi kihelkond, à 23 kilomètres de Tartu, au sein d’un étincellement blanc. Ce nom résume le paysage : inhabitable, car imprononçable, du moins non mémorisable pour moi (ou alors au prix de tels efforts que j’aurais l’impression de cheminer dans la neige).

C’est pourquoi je le note.

Richard Millet, Eesti. Notes sur l’Estonie, Gallimard, p. 53.

David Farreny, 4 sept. 2012
continuum

Cette situation inédite, il faudra se résoudre un jour à l’affronter, au lieu d’en refouler les signes criants sous une boulimie culturolâtre qu’attise la croissance sans limites de sa pâture : davantage de romans à chaque rentrée littéraire, davantage de films d’une saison à l’autre sur les écrans, davantage de créations plastiques disséminées dans les espaces les plus improbables – la perpétuelle surenchère de l’actualité tenant lieu, à elle seule, de bilan de santé euphorique. Inféodée à cette actualité autodévoratrice, la critique ne peut plus ou ne veut pas voir que le sol manque sous nos pieds depuis plusieurs décennies, et que la reconstitution d’une terre ferme n’est manifestement pas à l’ordre du jour. Cet aveuglement est la clé de son pouvoir, la condition du maintien de son existence. S’il y a bien un postulat vital de la critique actuelle, c’est que nous baignons dans un merveilleux continuum créateur, jamais distendu, jamais affaibli, dont la richesse multiforme, omniprésente, nous met en demeure d’être toujours plus vigilants, plus attentifs et plus curieux. L’immense majorité des comptes rendus de livres, de films, de spectacles ou d’expositions peut ainsi être lue, par delà l’affirmation de goûts et de dégoûts où seuls les nigauds voient encore des lignes de force et d’opposition, comme une bénédiction accordée à ce flux culturel délirant qui défie toute capacité d’absorption humaine. Et, plus grave, comme une occultation des seules questions qui vaillent vraiment : celles qui touchent à la tenue et à la consistance de notre présent, à l’apport réel de ces « œuvres » oubliées aussitôt qu’encensées, à la possibilité que garde ou non le travail créateur de s’inscrire dans le devenir collectif. Il ne reste quasiment plus d’espace ni de temps pour ces questions aujourd’hui. Et il y a quelque chose de pathétiquement cocasse à voir défendre les droits imprescriptibles de l’Art, de la Littérature et de la Culture contre les forces diaboliques du néo-libéralisme, là même où le jeu complice des créateurs et de leurs commentateurs béats s’inscrit dans une logique indiscutée de croissance folle, d’accélération vertigineuse de l’offre et de pullulement des bulles spéculatives à force de valorisations extravagantes. Le jour où la critique sera capable de casser ce jeu infernal par un acte public de sabordage, on pourra commencer à lui accorder un peu de crédit.

Pierre Mari, Orgueil critique.

David Farreny, 14 déc. 2012
sweet

Rentrer, c’est toujours plus ou moins regagner sa niche, la queue entre les pattes. Ce n’est pas très glorieux. Preuve que le vent du large n’a pas voulu de nous, qu’il ne nous a pas déposés sur le rivage d’un nouveau monde. Niche, sweet niche. Mon coussin, ma balle. Et pourtant, nous rentrons soulagés, bien contents d’en avoir fini avec le dérangement du voyage. Comme il fut long et douloureux, cet exil normand, et comme cela va être doux de revoir la tête de la boulangère (avec ses bonnes joues et la boule de son petit chignon, ne dirait-on pas la maman brioche ?).

Puis nous avons fait le plein de sensations fortes. Nous aspirons à la quiétude.

Tout de même, nous n’oublierons pas la brûlure du soleil ni la fraîcheur des sorbets.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 32.

Cécile Carret, 4 fév. 2014
balançons

Le kangourou fait partie de ces animaux – parmi les singes, les lémuriens, les manchots, les gerboises ou les mantes religieuses – dont les attitudes, les poses et les façons évoquent les nôtres si bien qu’ils nous apparaissent tantôt comme des caricatures à charge tantôt comme des parents pauvres. Nous balançons entre mortification et compassion. Serait-il possible d’opérer et d’appareiller le kangourou de manière à lui donner tout à fait figure humaine ? Est-ce souhaitable ? Nous aimerions tant que le singe nous parle. Il fait des efforts louables pour apprendre le langage des signes mais à ce jour ne sait encore que réclamer davantage de Smarties. Ce n’est pas exactement ce que nous espérions. Ayons l’honnêteté d’avouer que nous sommes un peu déçus. Comme il a tout de même moins évolué que nous depuis la préhistoire, qu’il appartient toujours en somme à la famille des grands primates – avec laquelle, après avoir longtemps cherché à rompre les ponts, nous souhaiterions maintenant renouer –, nous pensions qu’il pouvait avoir gardé, sinon quelques photos, au moins quelques souvenirs de nos ancêtres communs, et nous étions avides de les connaître. À quoi ressemblait notre aïeule ? Nous imaginons bien qu’elle portait d’invraisemblables crinolines, mais enfin, quels étaient nos jeux, nos rituels, nous dévorions-nous entre frères, cuits ou crus ? Si le gorille ou le bonobo ne nous le disent pas, de qui l’apprendrons-nous ? Avons-nous la moindre chance de le savoir jamais ?

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 131.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
verse

Cet après-midi entamé Trézeaux d’Henri Thomas, des poèmes qui ne paient pas de mine, mais que j’envisage d’ores et déjà très bien :

Je songe, je tergiverse,

Je vois la to-ta-li-té,

Et puis je verse

D’un seul côté.

Philippe Louche, Psychogéographie indoor (103). 🔗

David Farreny, 1er mars 2024

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