domestique

Les domestiques m’ont toujours été terriblement pénibles. Quand j’en vois un le désespoir m’envahit. Il me semble que c’est moi le domestique. Plus il est plat, plus il m’aplatit.

Henri Michaux, « Un barbare en Asie », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 319.

David Farreny, 20 mars 2002
chaînes

Pour la plupart, nous apprécions l’amour de nos semblables, au titre de reconnaissance nécessaire ou de divine surprise. Nous avons été élevés pour ça, d’une façon ou d’une autre, selon la voie du manque ou celle du trop-plein, peu importe, au bout du compte nous aimons être aimés, et nous aimons aimer, à tort et à travers et à nos dépens, mais enfin avec entêtement, avec récidive et avec préméditation. L’amour nous plaît, son bruit de chaînes et ses fruits de saison. Et tant mieux. Rien n’est plus désolant que de détester l’amour.

Marie Desplechin, Sans moi, L’Olivier, p. 10.

Élisabeth Mazeron, 3 sept. 2002
membranes

Il y a des heures dans la vie où l’homme, à la chevelure pouilleuse, jette, l’œil fixe, des regards fauves sur les membranes vertes de l’espace ; car, il lui semble entendre, devant lui, les ironiques huées d’un fantôme. Il chancelle et courbe la tête : ce qu’il a entendu, c’est la voix de la conscience. Alors, il s’élance de la maison, avec la vitesse d’un fou, prend la première direction qui s’offre à sa stupeur, et dévore les plaines rugueuses de la campagne.

Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Les chants de Maldoror, Robert Laffont, p. 658.

Guillaume Colnot, 2 déc. 2002
solution

Étrange mois d’août que celui qui s’achève. Le premier, depuis sept ans, que je n’aurai pas passé à écrire, et, de ce fait, reposant, pacifique, malgré le labeur d’esclave qui l’a rempli, sans l’ébranlement, les poisons mortels du travail de plume. Il y avait infiniment à faire mais c’étaient des choses précises, successives, qui ne réclamaient que du temps, les outils adéquats, une quantité déterminée d’énergie et pour lesquelles il existait a priori une solution.

Pierre Bergounioux, « mardi 29 août 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 828.

David Farreny, 20 avr. 2006
discord

Comme une cloche sonnant un malheur, une note, une note n’écoutant qu’elle-même, une note à travers tout, une note basse comme un coup de pied dans le ventre, une note âgée, une note comme une minute qui aurait à percer un siècle, une note tenue à travers le discord des voix, une note comme un avertissement de mort, une note, cette heure durant

m’avertit.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 334.

David Farreny, 3 mars 2008
fer

Or, une chose se ramène, pour l’essentiel, aux rapports qu’elle soutient avec les autres. C’est l’alternative qui nous accable ou nous réjouit, l’absence d’un terme dont on a connaissance qui nous rend gai, s’il est mauvais, et, dans le cas contraire, nous désole. Le paysage corrézien, vers 1960, perpétuait celui de la France d’Ancien Régime, à quelques inclusions près, en petit nombre et dûment circonscrites, de la réalité extérieure ou de l’âge ultérieur qui, pour le coup, se confondaient. Elles avaient, pour substance et principe, le fer.

C’étaient les rubans parallèles, luisants, jetés à travers les creux et les crêtes, les tourbières, les broussailles, et je me rappellerai toujours mes attentes anxieuses, incrédules, sous des aubettes en fibrociment plantées dans la solitude, près du ballast. Jamais un train ne desservirait ce désert. C’était ajouter à la cruauté de notre relégation, que de nous laisser croire que ces rails allaient conduire jusqu’à nous la jolie Micheline bicolore, crème et rouge cerise, ou la locomotive noire au souffle belliqueux, taurin, suivie de deux ou trois wagons vert bouteille. Le silence était si grand qu’il en devenait audible. C’est lorsqu’on avait perdu espoir, consenti à rester immobile, oublié, que la respiration détonante de la machine à vapeur ou le barrit un peu moqueur de l’autorail s’éveillait au loin, balayait la mélancolie consubstantielle au lieu, à l’heure morte dont il était la demeure.

Pierre Bergounioux, Sidérothérapie, Tarabuste, pp. 28-33.

David Farreny, 2 juin 2008
veux

C’est le côté pascalien du Castor : l’univers peut m’écraser mais il ne le sait pas. Et ma victoire sur lui est infinie, parce que je pense, et parce que je veux.

Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, p. 335.

Élisabeth Mazeron, 21 mai 2009
brut

Immédiateté de la sensation, globalité aussi. Ne pas trop chercher d’équivalence par ce « tourniquet de la plume » dont parlait Reverdy. Trop lent. Poser au plus court la sensation, de manière très grossière, et laisser travailler la mémoire du lecteur. Pour exemple, « l’odeur du jardin après la pluie ». Si j’élabore davantage, je vais tomber dans l’exercice littéraire ; l’odeur brusque, puissante, du jardin se dilue en mots qui tentent de la décrire, plus ou moins habilement. On aboutit à un texte et non plus au jardin (vers Ponge ?) alors que le but visé était bien de confronter brusquement, maintenant, le lecteur à cette odeur de pluie. De le faire en quelque sorte passer dans cette odeur, rien de plus. Sitôt que je décris, je construis littérairement une expérience, alors que je l’ai vécue sans recul. Voilà ce qui m’énerve. Je sais l’amertume d’une bière, je sais que le lecteur la connaît aussi, et mon but n’est pas de faire de cette amertume un objet poétique en soi. J’ai seulement besoin, à ce moment du poème, de traverser ce goût. Rester brut, donc. En ce sens ma poésie n’est pas vraiment descriptive, même si elle est nourrie de sensations ; elle intègre seulement les bouts de réel nécessaires pour activer une situation, une expérience, un vivre.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 64.

Cécile Carret, 4 mars 2010
heure

Ô heure merveilleuse, sérénité parfaite, jardin sauvage. Tu tournes le coin de la maison et, dans l’allée, la déesse du bonheur se hâte à ta rencontre.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 432.

David Farreny, 8 nov. 2012

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