D’abord il l’épie à travers les branches.
De loin il la humine, en saligoron, en nalais.
Elle : une blonde rêveuse un peu vatte.
Ça le soursouille, ça le salave,
Ça le prend partout, en bas, en haut, en han, en hahan.
Il pâtemine. Il n’en peut plus.
Donc, il s’approche en subcul,
l’arrape et, par violence et par terreur la renverse
sur les feuilles sales et froides de la forêt silencieuse.
Il la déjupe ; puis à l’aise il la troulache,
la ziliche, la bourbouse et l’arronvesse,
(lui gridote sa trilite, la dilèche).
Ivre d’immonde, fou de son corps doux,
il s’y envanule et majalecte.
Ahanant éperdu à gouille et à gnouille
— gonilles et vogonilles —
il la ranoule et l’embonchonne,
l’assalive, la bouzète, l’embrumanne et la goliphatte.
Enfin ! triomphant, il l’engangre !
Immense cuve d’un instant !
Forêt, femme, terre, ciel animal des grands fonds !
Il bourbiote béatement.
Elle se redresse hagarde. Sale rêve et pis qu’un rêve !
« Mais plus de peur, voyons, il est parti maintenant le vagabond…
et léger comme une plume, Madame. »
Henri Michaux, « Rencontre dans la forêt », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 416.
Le don de soi est le secret pour traverser l’affolant.
Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 420.
Parfois, de très grandes fatigues m’envahissent. Alors en moi l’esprit terre à terre rend son tablier. Il le plie soigneusement, le pose sur l’étagère à tabliers avec les autres, bien repassés, qui serviront plus tard, et se met en disponibilité, sachant qu’il n’est pas de taille à lutter. De très anciennes fatigues, issues intactes et parées de profondes ténèbres, fraîches comme au commencement du monde, inflexibles, chaleureuses. Elles m’enveloppent de leur vigilance, l’air absent, surgissent sans claironner. J’ai ainsi appris à être en communication muette avec les milliards de fatigues qui m’ont précédé. Cependant de ce contact inouï je ne peux rien retirer, aucun savoir, nulle connaissance. Je ne peux qu’y puiser la force d’attendre sans mourir la fin de l’assaut.
Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 12.
Au fond, je n’ai pas besoin de pensée, sauf à des fins disons morales ou d’orientation. La sensation, l’émotion, la mémoire et la langue me sont largement suffisantes dans leur mouvement continu de reprise/renouvellement.
Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 41.
Conduire une auto, avec le soleil matinal dans les yeux, sur une départementale. Campagne blanche, gelée, chauffage à fond. Qu’importe que ce soit pour signer un papier rayant 33 ans de ma vie. Chaque instant apparu du fond de l’éternité foudroie d’innocence le pèlerin du temps.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 16.
riant du guépard si véloce que son train arrière a du mal à le suivre et que son flanc élastique s’étire tant que, lorsqu’il s’arrête enfin, le corps distendu du félin mesure la longueur de sa course, puis son arrière-train l’assomme
Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 21.
D’abord, Poix Saint-Hubert
où un homme seul tanguait
sous les néons de La Notte.
Puis Grupont, dont la gare
secondaire ne désirait rien
tant que passer inaperçue ;
à Forrières, bois d’hiver
entassé le long des rues,
nuancier de mousses et
lichens, avant les églises
de Jemelle, saupoudrées
de poussière. À Marloie,
autres stères, aux bûches
cannelle cette fois ; après
Ciney, la ville d’Assesse
que nul ne visite jamais,
et à Courrières (souvenir
de catastrophes minières),
des moignons d’arbustes
sciés sur un talus ébarbé.
À Naninne (ou Louzée ?)
des bovins constellaient
les prés en pente, boues
gelées. Après Gembloux,
escarpements, et toitures
effondrées, oui, à Chastre,
à l’image d’un pays entier.
Gilles Ortlieb, « Traversées », Sous le crible, Finitude, pp. 29-30.
On est dégoûté du monde par la partie haute de son intelligence, on le supporte par les parties moyennes de son esprit et on ne le goûte que par les fondements un peu bas de son âme.
Henri de Régnier, « Le bonheur des autres ne suffit pas », L’égoïste est celui qui ne pense pas à moi, Flammarion, p. 49.
Je gis pauvrement, tu gis misérablement, il gît pitoyablement, nous gisons lamentablement, tandis que vous Gizeh, ô grands pharaons !
Éric Chevillard, « jeudi 23 août 2018 », L’autofictif. 🔗
Il faudrait une vie pour être amoureux, une autre pour être érudit, une troisième pour être riche, et une autre encore pour être beau. Le drame est que nous sommes obligé de tout mélanger.
Jérôme Vallet, « Notations (4) », Georges de la Fuly. 🔗
J’andropause en majesté sur mon trône vermoulu, contemplant d’un œil mort mes sujettes à caution.
Éric Chevillard, « mardi 17 octobre 2023 », L’autofictif. 🔗