Sud

Je sais bien qu’il existe des îles, loin vers le Sud, et de grandes passions cosmopolites.

Fernando Pessoa, « Autobiographie sans événements », Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 52.

Guillaume Colnot, 24 mai 2002
demeure

C’était le contraire d’un voyage. Plutôt que moyen de transport, le bateau nous semblait demeure et foyer, à la porte duquel le plateau tournant du monde eût arrêté chaque jour un décor nouveau.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, p. 66.

David Farreny, 29 nov. 2003
fantassins

Une section de fantassins se repose dans un espace vide entre deux maisons. Les uns sont couchés, dorment. Les autres, debout, contemplent avec indifférence la caravane morcelée dans le village. Je m’approche. Ils ont fait la Somme. J’attends d’eux quelque clarté, quelque espoir. Mais je n’ai devant moi que les soldats mystérieux, les soldats résignés. Je cherche en eux l’âme, le fond, le choix, le désir. Ils ne me livrent pas leur secret. Ils parlent soldat. Ils sont las. Je n’obtiens d’eux que quelques : « Il ne faut pas s’en faire… »

Léon Werth, 33 jours, Viviane Hamy, p. 19.

Cécile Carret, 11 mars 2007
sabliers

Dès l’apparition du froid inuit, la dilatation déchire la pierre. Ce qui semblait inatteignable, imputrescible, inaccessible aux effets du temps subit, comme le reste, l’entropie et le travail de la négativité. Même les pierres meurent. Elles éclatent, se démembrent, se délitent, bientôt elles deviendront sable, poudre destinée aux sabliers compagnons de l’angoisse des hommes. Avant-hier, la masse impénétrable, le bloc infracassable ; hier la fraction, les fragments, les morceaux, les blocs ; demain les poussières, semblables à celles des corps nettoyés par la mort et disséqués par le travail d’un temps auxiliaire.

Michel Onfray, Esthétique du pôle Nord, Grasset, p. 19.

Élisabeth Mazeron, 1er mai 2007
règle

Les premières journées d’un séjour en un lieu nouveau ont un cours jeune, c’est-à-dire robuste et ample — ce sont environ six à huit jours. Mais ensuite, dans la mesure même où l’on « s’acclimate », on commence à les sentir s’abréger ; quiconque tient à la vie, ou, pour dire mieux, quiconque voudrait tenir à la vie, remarque avec effroi combien les jours commencent à devenir légers et furtifs ; et la dernière semaine — sur quatre, par exemple — est d’une rapidité et d’une fugacité inquiétantes. Il est vrai que le rajeunissement de notre conscience du temps se fait sentir au-delà de cette période intercalée, et joue son rôle, encore après que l’on est revenu à la règle : les premiers jours que nous passons chez nous, après ce changement, paraissent, eux aussi, neufs, amples et jeunes, mais quelques-uns seulement : car on s’habitue plus vite à la règle qu’à son interruption, et lorsque notre sens de la durée est fatigué par l’âge, ou — signe de faiblesse congénitale — n’a pas été très développé, il s’assoupit très rapidement, et au bout de vingt-quatre heures déjà, c’est comme si l’on n’était jamais parti et que le voyage n’eût été que le songe d’une nuit.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, pp. 121-122.

David Farreny, 3 juin 2007
magot

Si c’était la solitude que j’étais venu chercher ici, j’avais bien choisi mon Île. À mesure que je perdais pied, j’avais appris à l’aménager en astiquant ma mémoire. J’avais dans la tête assez de lieux, d’instants, de visages pour me tenir compagnie, meubler le miroir de la mer et m’alléger par leur présence fictive du poids de la journée. Cette nuit-là, je m’aperçus avec une panique indicible que mon cinéma ne fonctionnait plus. Presque personne au rendez-vous, ou alors des ombres floues, écornées, plaintives. Les voix et les odeurs s’étaient fait la paire. Quelque chose au fil de la journée les avait mises à sac pendant que je m’échinais. Mon magot s’évaporait en douce. Ma seule fortune décampait et derrière cette débandade, je voyais venir le moment où il ne resterait rien que des peurs, plus même de vrai chagrin. J’avais beau tisonner quelques anciennes défaites, ça ne bougeait plus. C’est sans doute cet appétit de chagrin qui fait la jeunesse parce que tout d’un coup je me sentais bien vieux et perdu dans l’énorme beauté de cette plage, pauvre petit lettreux baisé par les Tropiques.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 123-124.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
restelet

Si je ne tiens pas compte de mes heures de sommeil, je suis la proie de deux types de temps : celui bête et brutal qui souffle en tempête de 8 h 30 à 16 h 30 et l’autre — le pauvre restelet — sur lequel je mise absurdement, qui est informe, déliquescent, désespérant, nul.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 10.

David Farreny, 5 juil. 2009
nullifié

Telle fut, je crois, la première pensée qui se leva en moi lorsque je finis par éprouver comme une chose gênante et indécente ma propre existence au sein de l’entière blancheur. Je sentis péniblement la matérialité de mon corps qui faisait obstacle à la toute paisible et pacifiante expansion du blanc. Je me découvris singulier, hétérogène, rejeté du cœur absent de ce monde nullifié que je contemplais, certes, mais qui ne m’était pas donné en partage. Et dans le désert d’être qui se perdait en ses propres lointains sans forme, sans couleur et sans substance, ma présence, infiniment chétive, faisait injure au néant.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 76.

Élisabeth Mazeron, 24 mars 2010
absence

Je voulais habiter l’absence. Mais l’absence est un luxe que je ne peux pas m’offrir.

Renaud Camus, « dimanche 24 mai 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 341.

Élisabeth Mazeron, 27 avr. 2010
molle

La réalité n’invente rien, c’est moi qui invente tout, c’est moi qui dois tout inventer, elle ne sait rien faire, c’est moi qui dois tout lui faire, elle est molle, je fais tout, je dois la prendre en charge, ce qu’elle sait faire, mais elle ne fait rien, ne sait rien faire, elle se laisse aller, je suis obligé de la remonter, de la reprendre, de la charger, de la remettre sur pied, d’inventer, de découvrir ses lois, de créer ses lois de toutes pièces, elle n’est pas capable de signer la moindre de ses lois, de créer par elle-même le plus petit aspect, le plus petit relief, le moindre son, je suis obligé de toute l’articuler, elle est complètement inarticulée, molle, invertébrée, glissante, stupide, elle n’a pas d’invention, je suis obligé de faire le lien, elle ne lie pas, elle reste hébétée, et molle, et stupide, elle marque, elle ne sait pas marquer, je suis obligé de tout marquer, elle ne produit rien, elle glisse, elle ne va pas dire, elle ne sait rien dire, je vais tout dire, je vais répéter, je vais former, je vais construire, je vais dire, je vais moduler, je vais la faire pencher, elle ne penche pas, elle n’invente pas, elle n’a pas d’invention, elle n’est pas étrangère, elle ne sait pas ce qu’est l’étrangeté, il faut tout lui dire, je vais tout lui dire, je vais toute la faire, la remonter, la charger, la répéter, la réalité ne sait pas dans quel sens aller.

Christophe Tarkos, Anachronisme, P.O.L., pp. 70-71.

Bilitis Farreny, 20 août 2010
exemple

Prenons par exemple, assise dans une cellule vide et cubique d’apparence carcérale, une jeune femme nommée Céleste Oppenheim.

Jean Echenoz, « Nitrox », Caprice de la reine, Minuit, p. 87.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
cadet

Ses grands tourments l’ont conduit au suicide, mais il a injustement entraîné avec eux dans la mort le cadet de ses soucis.

Éric Chevillard, « mardi 21 avril 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 8 mars 2024

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