biologique

J’évitais au monde des révolutions douloureuses et inutiles — puisque la racine de tout mal était biologique, et indépendante d’aucune transformation sociale imaginable ; j’établissais la clarté, j’interdisais l’action, j’éradiquais l’espérance ; mon bilan était mitigé.

Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, Fayard, p. 159.

David Farreny, 21 sept. 2005
je

Seul ce Je rend possible la déclinaison du monde : car Tu, Il, Elle, Nous, Vous, Ils et Elles déclinent autant de modalités de l’altérité. L’autre intime, tutoyé, proche ; le tiers plus lointain ; l’ensemble des Je associés dans un projet commun ; le tiers intime ; les lointains assemblés. Une relation avec l’autre est impossible à construire si la saine relation entre soi et soi qui construit le Je, n’existe pas. Une identité défaillante, ou absente à elle-même, interdit l’éthique. Seule la force d’un Je autorise le déploiement d’une morale.

Tout Je qui n’est pas voulu, travaillé, par une puissance, taillé par une énergie, se constitue par défaut avec tous les déterminismes qui prennent la place.

Michel Onfray, La puissance d’exister, Grasset, p. 102.

Élisabeth Mazeron, 15 janv. 2007
déréliction

À la fin, tu m’en auras servi bien assez de cette boisson douce-amère, de cette liqueur noir de jais, de ce poison très lent qu’on accumule comme un venin d’abeille. Tu m’auras abreuvé jusqu’à plus soif avec ce lait ténébreux, ce mauvais sang, cette mélancolie dont je tire mon miel, qui avive la douleur et la volupté, qui fait si mal et qui fait du bien obscurément. J’aurai eu ma dose, j’en serai sevré, j’espère, de cette eau-de-vie fatale, de ce mauvais alcool qui cogne fort, rejette toujours un peu plus dans la déréliction et entérine le fait, s’il en était besoin, que l’on a perdu d’avance, que tout est joué depuis le commencement.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 63.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
styles

À Leukerbad, la maison Wolfgang Loretau. Plafonds bas. Murs extérieurs à écailles de bois, avec inscriptions gothiques blanches. Portes extérieures style Renaissance Sion ; dans ces vallées arriérées, les styles retardent de deux siècles (de même mon bahut breton (1603) avec des figures de la fin du XVe ; et à Vevey, mon armoire (1707) aussi avec architecture du XVIe). Planches bosselées de gros nœuds du bois. Poêle en pierre ollaire gris à armoiries noires. Poutres et refend à inscriptions XVIIe en latin. Les éviers de pierre. Les poutraisons au brou de noix. Sur crépi épais crémeux. Chopes d’étain, tête en bas, couvercles ouverts, comme ne le font jamais les collectionneurs, mais les paysans qui s’en servent chaque jour.

Paul Morand, « 13 juin 1968 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 13.

David Farreny, 25 mai 2009
annihilation

Et le temps durait. Ce n’était pas l’affaire d’une heure ou d’un jour, mais, comme dans les contes d’endormissement, une extension pour ainsi dire infinie d’une temporalité homogène, identique à elle-même, au sein de laquelle nul instant ne se différenciait.

À l’infinitude d’une durée dont le seul avenir ne pouvait être qu’une vacance toujours plus vaste, répondait mon entière passivité, plus pleine d’elle-même, dans sa disponibilité vidée de projets, plus paisible et plus grave à mesure que l’angoisse en moi se desserrait. Ce fut comme une immense maturation du cœur dans l’absorption d’une constante contemplation du vide et de sa blancheur. Je ne formulais pas de théorie. Je ne cherchais pas à penser mon expérience à la lumière d’un système. Simplement, je coïncidais avec un état que la lente et irrésistible annihilation de mon univers entretenait en moi d’une façon continue.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 68-69.

Élisabeth Mazeron, 19 mars 2010
lettre

[…] l’enfant se lut la lettre à lui-même à mi-voix : « Cher Stéphane, hier je t’ai vu revenir de l’école. J’étais dans une file de voitures et je ne pouvais pas stopper. Tu étais en train de serrer la tête de ton gros ami sous ton bras. » À cet endroit l’enfant qui lisait se mit à sourire. « J’aimerais te voir bientôt et – ici l’enfant qui lisait fronça les sourcils – et te renifler… »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 90.

Cécile Carret, 30 juin 2013
rester

Les écrivains eux-mêmes se méprennent souvent sur leur œuvre. Ainsi celui-ci croyait rester pour ses romans et, en fait, je ne sais même pas de qui je parle.

Éric Chevillard, « mardi 27 août 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 27 août 2013
faire

Je ne vois pas ce que je pourrais faire de moins.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (4) », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, p. 77.

David Farreny, 8 juil. 2014
propriétés

Vos maisons, vos jardins, vos propriétés… vôtres tout autant que miennes par la vitre du train à grande vitesse.

Éric Chevillard, « samedi 10 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
affabulations

Parce que nous possédons une faculté de contempler les choses de la nature et les faits qui se produisent ici-bas, nous nous piquons d’en saisir le pourquoi et le pour quoi. En réalité, nous ne saisissons, ou croyons saisir, que ce qui se trouve à portée de notre raison — autant dire bien peu. Celle-ci, en soi, n’est pas en cause. Quand elle examine froidement ses propres capacités, elle en mesure bien les limites. Mais comme elle est d’ordinaire la servante soumise de notre naïf et prétentieux désir de comprendre, elle outrepasse ses faibles forces et, très vite dépassée, elle passe le relais à l’imagination toujours habile, quant à elle, à faire passer ses affabulations pour des vérités.

Frédéric Schiffter, « Le prophète de l'à-quoi-bon (Sur l'Ecclésiaste) », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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