joyeux

Soyons joyeux, il y a une loi morale.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 76.

David Farreny, 24 mai 2003
mûr

Bien que je ne voie pas encore le terme de ma vie, un sentiment secret m’assure pourtant que mon heure est proche. Je suis mûr pour la mort, et il me paraît trop absurde, alors que je suis mort spirituellement, et que la fable de l’existence est achevée pour moi, de devoir durer encore quarante ou cinquante ans, comme m’en menace la nature. Cette seule idée me fait frémir. Mais, comme il en est de tous ces maux qui dépassent l’imagination, cette perspective me semble un songe et une illusion qui ne se vérifieront jamais.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Tristan et d’un ami », Petites œuvres morales, Allia, p. 241.

David Farreny, 9 nov. 2005
exclure

Je sais à quoi je ressemble et, sans me cacher, je m’efforce d’être discret, m’exposant le moins possible, choisissant la pénombre au lieu du plein soleil. C’est pourquoi la vue d’un mongolien sur une plage ou dans un restaurant me scandalise, non parce que, trouvant plus disgracié que moi, j’aurais ainsi l’occasion d’atténuer par contraste ma laideur ou de me sentir vengé, mais parce que m’exaspère le larmoyant souci de ne pas exclure, lequel n’est que l’ancestrale peur des gueux, des réprouvés, des maudits, c’est-à-dire une manière de refuser de voir et de nommer le monde.

Richard Millet, Le goût des femmes laides, Gallimard, p. 73.

David Farreny, 24 fév. 2006
Parthénope

Oh vite ! les rues au bout les unes des autres, vides, luisantes, fraîches, avec des amoncellements de fleurs, déjà, aux tournants et sous les porches. Surprise ainsi, à cette heure où elle dort encore, Naples n’est plus la ville que connaissent les touristes ; c’est la Parthénope éternelle, celle de l’avenir plutôt que celle du passé, décor permanent pour les scènes de plusieurs siècles ; longues perspectives de façades jaunes, blanches, roses et gris-bleu quadrillées de vert par les volets et les persiennes, de terrasses, de cirques où la lumière est toute seule au centre de sa conquête, de colonnades, de portiques, de statues. Heure vide et comme hors du temps, heure où les palais jouissent en paix de leur ombre, qui tourne lentement à leurs pieds majestueux. Pour la ville, réduite, en cet instant, à sa réalité essentielle, ce jour n’est pas plus le 7 avril 1903 que le 7 avril 1803 ou le 7 avril 2003. Dans un moment ses passants, ses figurants d’un jour, en paraissant dans ses rues et ses places, marqueront la date exacte, l’instant qui est à eux ; mais la ville gardera, au-dessus d’eux, comme un secret, la garantie de durée qu’elle porte dans ses pierres, l’avenir qui est dans son ciment et dans ses pierres, et l’effrayante science de ses ruines futures, peut-être au fond de la mer, ou sous les flots durcis de lave, ou sous ce même ciel…

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, pp. 661-662.

Élisabeth Mazeron, 1er avr. 2008
véritable

Chaque fois, fidèlement, cette secousse que lui transmettaient les architectures romanes lui faisait ressentir instantanément les proportions en lui-même, dans les épaules, les hanches, les semelles, comme si c’était là, mais caché, son corps véritable, oui, c’était une sensation corporelle qui le fit aussi lentement que possible s’approcher en arc de cercle de cette église en forme de coffre à blé.

Peter Handke, « Essai sur le juke-box », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, pp. 84-85.

David Farreny, 31 oct. 2009
fiabilité

C’est agréable de laisser filer le temps avec toi. Nous nous racontons des bêtises dans des cercles restreints, toujours les mêmes, tu me donnes raison, toujours sur les mêmes points, et tu me donnes tort, toujours sur les mêmes points, je te coupe la parole, toujours aux mêmes endroits, je te laisse poursuivre ton discours dans le vide, toujours aux mêmes endroits, encore et encore, toujours pareil, ça vous rassure, ça vous rend heureux, cette certitude, cette fiabilité, cette familiarité. Et nous nous réveillons et disons les mêmes choses, et nous nous endormons après avoir dit les mêmes choses, et parfois vient s’y ajouter une nouvelle pensée qui nous surprend, une nouvelle tournure qui nous plaît…

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, p. 239.

David Farreny, 11 mars 2010
savait

On souhaite, avec son esprit, mourir et, avec son corps, vivre ; le corps est idiot ; on le savait.

Paul Morand, « 28 juillet 1974 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 298.

David Farreny, 26 août 2010
forêt

Avons-nous avancé assez dans l’apparence

assez vu cette vie couler, couleur de vitre,

nous nous sommes blessés aux choses d’outre-monde

portes fermées, ô visions —

c’est la même chanson stupide et décevante

le même espoir avec des sources dans la voix

la même inexplicable envie d’un sanglot

dont on ne sait que faire.

Tous ces cheveux tombés et ces cils et ces ongles

laissés derrière nous, veux-tu qu’on s’en souvienne,

La nuit est là. Le monde meurt,

et la forêt est pleine de craquements nouveaux.

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 252.

David Farreny, 3 juil. 2013
silence

Les conversations importantes sont des tâtonnements dans le silence.

Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, p. 250.

David Farreny, 28 fév. 2015
impropre

La lucidité n’extirpe pas le désir de vivre, tant s’en faut, elle rend seulement impropre à la vie.

Emil Cioran, « De l'inconvénient d'être né », Œuvres, Gallimard, p. 870.

David Farreny, 28 fév. 2024

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