solution

Étrange mois d’août que celui qui s’achève. Le premier, depuis sept ans, que je n’aurai pas passé à écrire, et, de ce fait, reposant, pacifique, malgré le labeur d’esclave qui l’a rempli, sans l’ébranlement, les poisons mortels du travail de plume. Il y avait infiniment à faire mais c’étaient des choses précises, successives, qui ne réclamaient que du temps, les outils adéquats, une quantité déterminée d’énergie et pour lesquelles il existait a priori une solution.

Pierre Bergounioux, « mardi 29 août 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 828.

David Farreny, 20 avr. 2006
avenir

L’avenir est difficile.

Pierre Bergounioux, « vendredi 2 août 1996 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 738.

David Farreny, 12 déc. 2007
gravelure

Il n’y avait pas un souffle de vent à bord du bois. Elle était sur son trente et un, dans un de ces amples manteaux bruns du genre carrick qu’on imagine aux épaules de hautaines mijaurées début de siècle qui, le petit doigt en l’air et la bouche en cerise, regardent à la lorgnette des casaques au pesage ; là-dessous des perles qu’en dépit de l’hiver elle découvrait à son cou ; les sequins comme toujours et de fins bas glacés sous quoi la blancheur exaspérée rosissait sous le froid. Tout ce chic à l’orée d’un bois perdu était déplacé comme une gravelure sur des casaques. J’essayai en vain de reprendre mon souffle, ce qui le coupait maintenant venait de plus bas, affûté comme un rasoir. Je crus qu’elle aussi avait couru, le souffle emportait dans une même précipitation la gorge, le carrick et les perles ; tout cela s’agitait ; au reste l’haleine courte que le gel divulguait disait assez son empressement ou son émoi. Le froid l’avait giflée, les lèvres étaient considérablement gercées, écorchées, mais maquillées sur la plaie. Elle regardait venir les enfants et m’abandonnait son profil, comme si elle ne m’avait pas vu : cette lourde coquetterie me fouetta autant que l’aurait fait sa nudité. Son haleine s’arrêta ; lentement elle me fit face, et avec un regard que le ravissement exaltait mieux que les sequins, mieux que le diadème corbeau et la bouche éclatée, elle me donna son beau visage noyé, ses pommettes bouillantes, ses yeux fixes.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
sorties

Idée de suicide ; idée de séparation ; idée de retraite ; idée de voyage ; idée d’oblation, etc. ; je puis imaginer plusieurs solutions à la crise amoureuse et je ne cesse de le faire. Cependant, quelque aliéné que je sois, il ne m’est pas difficile de saisir, à travers ces idées récurrentes, une figure unique, vide, qui est seulement celle de l’issue ; ce avec quoi je vis, complaisamment, c’est le fantasme d’un autre rôle : le rôle de quelqu’un qui s’en sort.

Ainsi se dévoile, une fois de plus, la nature langagière du sentiment amoureux : toute solution est impitoyablement renvoyée à sa seule idée — c’est-à-dire à un être verbal ; en sorte que finalement, étant langage, l’idée d’issue vient s’ajuster à la forclusion de toute issue : le discours amoureux est en quelque sorte un huit clos de Sorties.

Roland Barthes, « Idées de solution », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 169.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2009
automne

Le sentier venait de sortir à ciel ouvert et de retrouver le bord du lac, la lumière grise de la surface. Dans l’eau, les pentes de la montagne s’emboîtaient dans leur propre reflet comme dans un jeu de construction merveilleux qui faisait hésiter sur le niveau réel de la surface. Le ciel, d’un gris très clair, semblait collé au fond comme une lentille. Tout en bas de ce retournement vertigineux, on voyait l’antenne de la station de transmission qui permettait aux habitants de l’Altefrau de bénéficier de la télévision et qui arrosait les vallées et les zones montagneuses.

Il y avait un silence énorme, une humidité froide. Des nuages fins comme une gaze salie recouvraient les sommets. On sentait à l’œuvre cette immobilité du temps propre à l’automne, ce pourrissement propre à l’automne, les plantes s’exténuant doucement sous la roche.

Dominique Barbéris, Beau Rivage, Gallimard, p. 70.

David Farreny, 16 août 2010
affligeant

Il n’est pas sur cette planète un village qui puisse s’enorgueillir de cette naissance – honte sur nos villages ! À quoi bon ces communes qui n’enfantent que les clairons et les tubas de la fanfare municipale ? Et n’est-il pas affligeant, quand on sait tout l’osier qui a poussé sur cette terre depuis l’aube des temps, n’est-il pas affligeant de penser qu’il ne s’en trouva pas douze brins pour tresser le berceau à Dino Egger ? Il y a de bonnes raisons de pleurer, nous en possédons tous un joli lot dont nous sommes du reste assez jaloux, mais celle-ci est sans doute la seule qui nous soit commune.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 13.

Cécile Carret, 25 janv. 2011
pleurer

Les larmes sans arrêt coulaient, les larmes formaient comme une membrane humide sur ses yeux. Elle ne voyait plus personne. Que lui importait qu’on la voie.

Puis les spasmes sont survenus, spasmes des muscles et des nerfs qui lui nouaient la gorge où quelque chose d’âpre raclait, comme si elle avait avalé du vin vieux, quelque chose d’amer, d’insupportable.

Ses compagnons de voyage étaient à même d’observer de près ce phénomène qu’est le fait ancestral de pleurer. D’un souffle, d’un seul, la poitrine se gonflait de façon titanesque, et, prise de mouvements convulsifs la bouche s’ouvrait pour happer l’air. Quelques halètements syncopés, puis après cette suite de brèves contractions venait enfin celle qui libérait la poitrine, et c’était encore douloureux, mais c’était aussi la fin de la douleur.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 32.

Cécile Carret, 4 août 2012
équitable

— En combien de temps terminez-vous un cercueil ?

Sur un ton professionnel :

— Le modèle en sapin est cloué en quatre heures. Quelle rapidité pour un appartement éternel !

— Et un berceau, un berceau à bascule ?

— En un temps identique, à peu près. C’est équitable.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 68.

Cécile Carret, 12 juin 2013
idée

C’est bien la première fois qu’en rêve je copule avec un homme ; très désagréable, d’autant que celui-ci puait le tabac ; il avait une gueule virile, mal rasée, mais une poitrine naissante de jeune fille à laquelle je tentais vainement de me raccrocher, — j’avais du mal à tenir une érection dans ces conditions. Tout cela donne une idée du chaos psychique dans lequel on nage.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (3) », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, p. 118.

David Farreny, 3 mars 2015
missive

Mais à qui écrire ? Personne en vue. Et pas d’enveloppe, pas de papier à lettres. J’ai quand même expédié ma première missive, je l’ai pliée en petit bateau, j’ai collé le timbre dessus et j’ai écrit : « Au premier qui la ramassera. » Ne restait plus qu’à ouvrir le vasistas et à la jeter, comme dans une boîte aux lettres.

Voilà comment cela s’est passé. Avec mon coauteur, la vodka, nous nous sommes peu à peu pris de passion pour la chose épistolaire.

Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 14.

Cécile Carret, 6 mai 2024

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