C’est le samedi que la décrue s’amorça. On revint au quaternaire tardif. Aux moussons succéda un hiver frisquet, classique. La rivière regagna son lit cloisonné de quais obliques, sanglé de ponts.
Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, p. 19.
Je ne sais pas comment font les autres.
Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 47.
Si le soleil répare
Les ravages du ciel, que la brise ranime
Les airs dolents — et fuyant, dispersée,
L’ombre grave des nues s’en va dans la vallée ;
Si les oiseaux confient au vent leur cœur
Sans défense, que la lumière
Dans les bois entrouverts, par les dernières
Neiges, insuffle à nouveau désir d’amour
Et nouvelle espérance aux animaux troublés —
Aux âmes lasses des humains, dans la douleur
Ensevelies, peut-il renaître
Le bel Âge, que la détresse et la flamme
Noire du vrai consumèrent
Avant le temps ?
Giacomo Leopardi, « Au printemps », Chants, Flammarion, p. 71.
En fait, le lendemain, c’était comme de repartir. Je veux dire, du début. Avec, tout de même, cette conscience que j’avais bougé. Nettement.
Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 13.
Il n’est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi.
Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 485.
D’abord, Poix Saint-Hubert
où un homme seul tanguait
sous les néons de La Notte.
Puis Grupont, dont la gare
secondaire ne désirait rien
tant que passer inaperçue ;
à Forrières, bois d’hiver
entassé le long des rues,
nuancier de mousses et
lichens, avant les églises
de Jemelle, saupoudrées
de poussière. À Marloie,
autres stères, aux bûches
cannelle cette fois ; après
Ciney, la ville d’Assesse
que nul ne visite jamais,
et à Courrières (souvenir
de catastrophes minières),
des moignons d’arbustes
sciés sur un talus ébarbé.
À Naninne (ou Louzée ?)
des bovins constellaient
les prés en pente, boues
gelées. Après Gembloux,
escarpements, et toitures
effondrées, oui, à Chastre,
à l’image d’un pays entier.
Gilles Ortlieb, « Traversées », Sous le crible, Finitude, pp. 29-30.
Que fait ce galopin sur une trottinette ?
Éric Chevillard, « vendredi 15 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗
Je n’ai rien à faire, serre quelques mains, bavarde avec des libraires, des journalistes, des auteurs. Je les regarde, ces auteurs : fatigués, ringards, pitoyables, attendant le chaland sous les projecteurs qui les enlaidissent : Anne Wiazemski qui se décatit de salon en salon ; Marie Nimier dont le profil se rapproche de l’oiseau de proie et chez qui rien n’est laid sans que cependant l’ensemble soit beau ; Jocelyne François qui ne me reconnaît pas ou ne le veut ; Jean-Christophe Rufin qui, lui, me rappelle que nous nous sommes vus à Beyrouth, l’an dernier, et qui me dit : « J’ai dépassé les 80 000 exemplaires ; et toi ? » ; Lacouture, « régional de l’étape » qui cligne des yeux et grimace comme un vieil ecclésiastique surpris à la sortie d’un bordel ; Dominique Fernandez qui semble épuisé d’être lui-même et pose une main fripée de vieille femme sur l’épaule de son giton, et tant d’autres dont la vue me désole, tâcherons des lettres, commis, clercs, mitrons, courtisans, sycophantes, ilotes d’une renommée impossible et d’une gloire hors d’atteinte, sans doute démonétisée…
Richard Millet, « 10 octobre 1998 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.