Un de ces endroits qui, aperçus sur la carte d’un atlas, suscitent notre intérêt… pourquoi ? parce que totalement dépourvus d’intérêt… Non, bien sûr, personne n’y va jamais, qu’est-ce que ça peut bien être, Goya ? Notre doigt retombe sur un vocable de ce genre — hameau en Islande, bourgade d’Argentine — et l’envie d’y partir nous envahit…
Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 438.
Les Norvégiens sont translucides ; exposés au soleil, ils meurent presque aussitôt.
Michel Houellebecq, Lanzarote, Flammarion, p. 18.
On n’entend rien aux religions si l’on croit que l’homme fuit une divinité capricieuse, mauvaise ou même féroce, ou si l’on oublie qu’il aime la peur jusqu’à la frénésie.
Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 24.
La régression temporelle ne peut que nous révéler une éternité antérieure dont absolument rien n’a pu être absent ; car nous ne pouvons pas concevoir que l’éternité qui nous suivra puisse réaliser quoi que ce soit de plus que la première.
Emil Cioran, « Maurice Maeterlinck », Solitude et destin, Gallimard, p. 265.
Jolis moments et contrariétés contribuent inexorablement à nous faire une tête de veau.
Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 78.
On peut sortir de l’ennui ou essayer d’en faire sortir autrui en (se) proposant une activité, une relation ; en interprétant l’ennui comme un appel (comme on le dit de certains suicides) : appel à l’aide, appel du vide à ce qui pourrait le remplir.
Quand on agit ainsi, on suppose qu’il est bon non seulement de sortir de l’ennui, mais de se détourner de lui.
Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 45.
35. Sujets de poésies
La capitale. La puéraire. La bardane d’eau. Le poulain. La grêle. Le bambou nain. La violette à feuilles rondes. Le lycopode. L’avoine d’eau. La sarcelle. Le canard mandarin. Les massettes poussées çà et là, en automne. Le gazon. La liane verte. Le poirier. Le jujubier. Le « visage du matin ».
Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, p. 92.
Mais, pour l’individu, la nature inorganique devient une nature présupposée, trouvée là ; et c’est en cela que consiste la finitude du vivant. L’individu est pour lui-même face à cette nature, mais de telle manière que cette connexion de tous les deux est, sans réserve, une connexion absolue, indissociable, intérieure, essentielle, car l’être organique a cette négativité dans lui-même.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 667.
C’était un petit établissement d’angle, avec deux tables sur le trottoir. Entre les rares voitures qui passaient, on entendait le bruit d’un torrent. Un type est venu s’asseoir à l’autre table, il a commandé un café. Pendant un moment, il n’y a eu que lui et moi dans ce coin de village. Je me suis demandé s’il entendait le bruit du torrent, s’il l’écoutait. Il avait l’air passif. Il n’avait pas de bagage avec lui, pas de porte-documents, pas de sac à dos, il était habillé de façon neutre, comme moi – j’étais parti un peu vite. Je me suis dit qu’il devait sortir de sa voiture, lui aussi. Il avait le nez gros, l’œil aiguisé, de temps à autre il se passait un index sur les lèvres, à l’horizontale. La cinquantaine, peu de mâchoire. J’ai tenu un quart d’heure comme ça, puis c’est devenu insupportable.
Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 15.