commotion

Aux pires moments, en septembre, il me semble que j’avais songé à aider le destin. Le maniement de la cognée facilitait l’examen de certaines pensées. Elles n’avaient pas un contour trop net. L’effort, la sourde commotion qui se communique au fer et à tout le corps empêche qu’on voit trop précisément ce qu’on imagine, la forêt confuse du plateau, les routes désertes, les rencontres mauvaises.

Pierre Bergounioux, Ce pas et le suivant, Gallimard, p. 88.

Guillaume Colnot, 25 avr. 2003
poussée

Parfois je me dis ça. Je me dis que je veux vivre. Je suis vivant. On a parfois la forte sensation d’être en vie. Parfois on se dit qu’on veut vivre. C’est ça qu’on veut. On sent que la vie nous pousse à le dire. À dire qu’on est vivant. Car on sent la poussée de la vie dans la phrase.

Charles Pennequin, Bibi, P.O.L., p. 40.

David Farreny, 28 déc. 2005
débruti

Il faut briser là, revenir en arrière, trouver, s’il existe, un angle différent pour aborder la fin d’un monde, la destruction de soi, la perte de tout et l’effort pour renaître. D’avoir fait fausse route me vaut un accès d’intense tristesse. Avec ça, les fatigues mal ressuyées de juillet, la chaleur m’accablent. Me fais à moi-même l’effet d’un objet pesant et mal débruti, d’un instrument grossier, impropre à l’usage auquel je prétends le faire servir.

Pierre Bergounioux, « samedi 6 août 1994 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 459.

David Farreny, 12 déc. 2007
immobile

On dirait bien là des occupations de vieux, de retraité. Or, jamais je n’ai eu conscience comme maintenant de ma jeunesse ; je suis intact. Plus je reste immobile, plus je retranche d’actions dans mes journées, mieux je sens ma force et ma liberté. Je dois vraiment être un employé modèle, car le strict accomplissement de la tâche fait partie des moyens par lesquels je m’assure la sérénité.

Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 127.

David Farreny, 4 mars 2008
ramifié

Je suis passé devant notre maison, j’ai jeté un coup d’œil sur la liste des noms des locataires actuels. Ils sont toujours là, les M., les W., les R. Treize ans ont passé. Ceux qui étaient jeunes, qui jouaient avec moi dans la rue, doivent être mariés, avoir des enfants, et je me vois débarquant dans leur salle à manger, ramifié par le souvenir, et eux cassant toutes mes branches une à une.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 59.

David Farreny, 12 mars 2008
tronqué

En tout point de ce livre-ci se présentent des sorties vers tous les autres livres, ou d’augustes portails, semblables à ceux de parcs magnifiques et profonds qu’il faudrait visiter en chemin mais dont nous sentons bien que pour en goûter l’enchantement, ou pour en apprécier comme il le mérite l’ordonnancement savant, il faudrait non pas nous arrêter là quelques heures mais séjourner longuement, et soumettre nos impressions aux variations de la lumière, des conditions atmosphériques, des saisons de l’année et des âges de la vie. Tout sens est deuil du sens, renonciation, choix forcé, destin tronqué, mais c’est cela ou rien. Pourtant nous n’oublions pas que nous aurions pu consacrer notre existence, aussi bien, à la compréhension presque totale de l’Aréopagite et de ses liens avec la mystique rhénane, à l’entretien ruineux du jardin de Kinloch Castle, sur l’île de Rum, dans les Hébrides, au soulagement des épreuves des immigrés clandestins dans le camp de rétention de Sangatte, près de Calais, ou bien à la connaissance impeccable, et qu’il faudrait avoir simultanément présente à l’esprit, en permanence, du réseau des chemins et sentiers d’un triangle Estramiac-Pessoulens-Tournecoupe. Il faudrait un aleph. Et le vrai sujet de ce livre, c’est son impuissance à entrer dans son sujet ; c’est K. tournant autour du Château ; c’est Bloch ne comprenant pas qu’il fatigue parce que le sens lui-même est fatigué et que l’usage du monde, la politesse, la distinction, la culture elle-même, c’est le clair sentiment de cette fatigue du sens, auquel il ne faut pas trop demander, ni porter une foi trop vive.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., pp. 242-243.

David Farreny, 10 mai 2009
avant

Il reste tant de choses à faire avant d’anticiper.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 58.

Cécile Carret, 4 mars 2010
bénévolement

Alors, Raban eut l’impression qu’il surmonterait encore cette longue et pénible épreuve des deux prochaines semaines. Car ce ne sont que deux semaines, c’est-à-dire un temps limité, et si les contrariétés ne cessent de grandir, le temps n’en diminue pas moins pendant lequel il faut les supporter. C’est pour cela, sans aucun doute, que le courage augmente. « Tous ceux qui veulent me faire souffrir et qui ont maintenant occupé entièrement l’espace qui m’entoure, tous ceux-là seront peu à peu refoulés par ces jours qui expirent bénévolement, sans que j’aie le moins du monde à leur venir en aide. Et je puis être faible et silencieux, comme il m’arrivera naturellement de l’être, je puis les laisser faire de moi tout ce qu’ils veulent, les choses s’arrangeront quand même, grâce à ces seuls jours qui passent. »

Franz Kafka, « Préparatifs de noce à la campagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 83.

David Farreny, 19 nov. 2011
lois

Le sapin se replante de lui-même, regagne après quelque temps sur les collines abandonnées. Le cycle est le suivant : le genêt s’installe en premier, puis dans la terre remuée, ouverte par ses racines, s’installe la graine du mélèze qui pousse sans ombre, et même en terrain sec. Lorsque le mélèze atteint 80 centimètres, la graine du sapin, ou de l’épicéa, s’installe dans son ombre, pousse – sa croissance est beaucoup plus rapide que celle du mélèze –, tue le mélèze qui avait déjà tué le genêt, et grandit. Sélection naturelle parmi les sapins, les mauvais sujets sont éliminés, les bons se développent – la fréquentation des forêts rend très sage. Certaines lois naturelles s’y expriment à un tel degré d’évidence qu’il est impossible de ruser avec les résultats.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 62.

Cécile Carret, 18 juin 2012
gaspillé

Je plains beaucoup les gens qui n’ont pas fainéanté jusqu’à vingt-cinq ans, au moins périodiquement, car je suis convaincu qu’on n’emporte pas l’argent gagné dans la tombe, le temps gaspillé, si.

Franz Kafka, « lettre à Hedwig Weiler (novembre 1907) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 607.

David Farreny, 1er mai 2014

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