cadavre

Quant à ceux qui se permettent de parler de moi sur un ton ennuyeux, pédant, doctrinal, ils se voient cruellement punis : leur bouche béante, je la remplis jusqu’à ras bord de mon cadavre.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 164.

David Farreny, 20 mars 2002
intérieur

Toute relation, tout commerce, crée un tiers, un lieu, dans l’espace clos duquel s’établissent, s’organisent, se jouent, les rapports. Deux hommes qui parlent ne devraient pas se regarder, mais obliquement, observer le point de jonction que leurs propos, leurs échanges, leur silence, provoquent. En amour, le lieu est à l’intérieur. Les deux corps pensants recherchent l’union dans un rapprochement, une pénétration l’un dans l’autre, de plus en plus aigus. La femme s’offre pour que l’homme trouve. Le phallus est comme une pioche, une vrille, un chercheur qui doit, devrait trouver son point de saturation. Le « trou » féminin donne d’ailleurs l’impression d’être travaillé en spirale, comme une vis, et en fait, l’homme ne devrait pouvoir pénétrer qu’en tournant sur lui-même, comme les suppliciés de la roue.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 139.

David Farreny, 22 mars 2002
secret

Mais on ne peut pas être indiscret avec moi, sauf en m’imposant ses propres discours, sa propre musique, ses propres bruits. Je n’ai pas de secrets et je m’en félicite tous les jours. Je trouve que rien n’est ennuyeux comme les secrets. Je respecte ceux des autres, puisqu’ils sont aux autres. Mais je ne les estime pas.

Rien ne serait épouvantable, cela dit, comme une société où les secrets seraient interdits. Le mépris du secret est une règle morale, et personnelle, nullement un impératif social…

Renaud Camus, « jeudi 26 janvier 1995 », La salle des pierres. Journal 1995, Fayard, p. 60.

Élisabeth Mazeron, 5 sept. 2003
pas

Je n’apprécie pas vraiment les gens. Et ceux que j’aime bien ne sont pas dignes de confiance. Je ne crois pas à la nature humaine, je ne lui voue pas une grande admiration. Je ne fais pas plus confiance à la société. La race humaine ne m’intéresse plus, je ne tiens pas à ce qu’on sauve le monde, je ne m’intéresse plus aux problèmes d’environnement, ça n’en vaut pas la peine. Les gens méritent de disparaître. Je serai content lorsque les tigres, les rhinocéros et les éléphants auront disparu, car ils ne pourront plus être persécutés. Tout ce que mérite la race humaine, c’est de partir en fumée.

Morrissey, propos recueillis par Christian Fevret, « Les Inrockuptibles », numéro 47, juillet 1993.

Guillaume Colnot, 16 sept. 2003
image

J’étais accroché par une image, je marchais dans sa robe rouge.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 29.

David Farreny, 31 déc. 2005
routes

Mais enfin, d’une manière générale, j’aurais tendance à appeler vivre décemment disposer de tout ça qui est nécessaire pour n’avoir pas à se soucier du nécessaire : un toit, un peu d’amour, deux ou trois repas par jour, des livres et le goût des livres, la télévision puisque vous y tenez, de la musique, que sais-je, le loisir de prendre la porte de temps en temps, et la route, les routes.

Et le loisir tout court, évidemment, fût-il loisir de travailler ; mais à condition que le travail soit un loisir, pas une triviale obligation d’entrailles.

Ce qui est fâcheux c’est qu’un seul mot, le travail, se mêle de désigner deux types d’activités qui peuvent se ressembler comme deux gouttes d’eau, c’est vrai, de l’extérieur, mais qui à la vérité sont par essence complètement différentes : le travail obligatoire, en somme, celui de la vieille malédiction, celui que l’homme doit fournir, depuis la chute, pour gagner sa vie ; et le travail choisi, élu, le travail pour soi-même, sur soi-même, étude, bricolage, gymnastique, exercice perpétuel, le travail qu’il décide d’effectuer pour dépenser sa vie, au contraire, pour user au mieux de son capital de temps, pour s’acquérir de l’être, toujours plus d’être.

Renaud Camus, Qu’il n’y a pas de problème de l’emploi, P.O.L., p. 30.

Cécile Carret, 27 mars 2007
probité

Des lecteurs de bonne foi lisent ces textes et se convainquent que la « vraie littérature » est celle-là. Or une chose écrite n’est pas bonne à lire par le seul fait qu’elle est écrite, comme tendraient à le faire croire les actuels réflexes protecteurs du livre. Tout texte modifie le monde. Cela diffuse des mots, des représentations. Cela, si peu que ce soit, nous change. Des textes factices, des phrases sans probité, des romans stupides ne restent pas enfermés dans leur cadre de papier. Ils infectent la réalité. Cela appelle un antidote verbal.

Pierre Jourde, La littérature sans estomac, L’Esprit des Péninsules, pp. 25-26.

David Farreny, 10 janv. 2009
elles

Accueille la migraine.

— Bonjour migraine.

Accueille la nausée.

— Bonjour nausée.

Aujourd’hui elles sont là, elles s’adressent à toi.

— Merci, merci, sans vous ma journée eût été banale, vraiment.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 52.

David Farreny, 5 juil. 2009
zigomars

Ces zigomars – les auteurs – font en définitive ce qu’ils veulent avec nous ; soit qu’ils nous vantent les conséquences bienfaisantes d’une consommation régulière de Sanella ; soit qu’ils nous rendent incapables de bégayer autre chose que leurs formules, constructions, locutions. […] je suis allé dans les marais de l’Ems – mon Dieu, quel pays ! : impossible de communiquer avec les habitants autrement que par signes ; on n’y a jamais les pieds au sec ; et la pluie, qui pleut toute la sainte journée – et cela uniquement parce qu’un auteur y avait situé des scènes d’amour ; des scènes d’amour ! : l’air s’y répandait soi-disant saturé de chaleurs, comme du verre en fusion ; et les filles y prenaient spontanément des poses qu’on ne rencontre d’ordinaire que dans les Mille et une nuits – – : Je ne veux plus lire ! !

Arno Schmidt, « Que dois-je faire ? », Histoires, Tristram, p. 77.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
chromes

On a du temps, une certaine quantité, sur laquelle on va prendre pour donner au sommeil, aux tristes aliments, aux choses qu’il faut fabriquer, entretenir, réparer, aux maladies (les siennes et celles des autres) qui rôdent et, enfin, à tout ce qu’il peut prendre fantaisie à un tiers de nous réclamer pour ses chromes, ses pesantes parures, ses longs silences, sa puissance.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 61.

Élisabeth Mazeron, 15 juin 2010
pluriel

Je trouve sur mon répondeur un message m’invitant demain, chez Hallier, à un excitant « déjeuner d’écrivains ». L’horreur complète ! Des écrivains ! Je pourrais fréquenter n’importe quelle communauté passagère, des médecins, des managers, des dentistes, des comédiens. Mais des écrivains ! Est-ce qu’on peut imaginer quelque chose de plus débandant ? De moins désirable ? Hein ? Des écrivains ! Avec un s ! Le seul truc, le seul mot qui devrait être interdit de pluriel !

Philippe Muray, « 20 mars 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 94.

David Farreny, 29 fév. 2024
Inquisition

Par sa clarté desséchante, par son refus de l’insolite et de l’incorrection, du touffu et de l’arbitraire, le style du XVIIIe siècle fait songer à une dégringolade dans la perfection, dans la non-vie. Un produit de serre, artificiel, exsangue, qui, répugnant à tout débridement, ne pouvait en aucune façon produire une œuvre d’une originalité totale, avec ce que cela implique d’impur et d’effarant. En revanche, une grande quantité d’ouvrages où s’étale un verbe diaphane, sans prolongements ni énigmes, un verbe anémié, surveillé, censuré par la vogue, par l’Inquisition de la limpidité.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 913.

David Farreny, 1er mars 2024

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