Les imbéciles font de bien plus redoutables adversaires, dans une discussion, que les gens intelligents, car n’exerçant aucun contrôle sur leurs propres arguments, ils sont insaisissables.
Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 67.
Je comprends parfaitement les femmes qui font de la broderie par chagrin, et celles qui font du crochet parce que la vie existe.
Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 31.
Comme l’amour de l’Auvergne — de l’Auvergne que j’aime et qui n’existe plus qu’à peine, probablement —, l’amour de l’Écosse est un amour masochiste, un amour méchant envers celui qui l’éprouve, un amour boudeur envers le monde. Pense-t-on qu’on pourrait être heureux, dans ces solitudes revêches, au détestable climat ? Une bonne part de leur incomparable beauté vient de leur éloignement, de leur difficulté d’accès, du défi qu’il y a à être là, qu’il y aurait à vivre là malgré l’éloignement, malgré le temps, malgré le temps. Habiter au fin fond du Perthshire, de l’Invernesshire ou du Sutherland, c’est hurler au siècle qu’on lui refuse notre présence, hurler au plaisir qu’on entend se passer de lui, beugler à la douceur de vivre qu’en ce qui nous concerne elle peut se rhabiller. Or il faut croire que quelque chose en moi aspire farouchement à cette emphase dans l’inappartenance, car si je contemple une photographie du loch Coulin et la silhouette minuscule de Coulin Lodge, au fond du lac et sous la masse neigeuse du Ben Eighe Mhor, je me sens me quitter et m’engouffrer dans l’image, et des heures se passent avant que je puisse me récupérer, ne serait-ce que pour dormir à mes côtés.
Renaud Camus, « jeudi 23 août 2001 », Sommeil de personne. Journal 2001, Fayard, pp. 415-416.
Il était le fils de sa mère. Il appartenait à l’endroit. Il fut l’endroit fait homme, comme elle avait été la femme qu’il avait fallu, à un moment donné, à cet endroit. Il ne pouvait croire qu’on s’y établisse et respire sans abdiquer, dans l’instant, ce qu’il ne réclamait point, en devenir possesseur et possédé, l’esclave, le maître, ce qu’il était assurément.
Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 48.
À mesure que vous approchez de la vérité, votre solitude augmente. Le bâtiment est splendide, mais désert. Vous marchez dans des salles vides, qui vous renvoient l’écho de vos pas. L’atmosphère est limpide et invariable ; les objets semblent statufiés. Parfois vous vous mettez à pleurer, tant la netteté de la vision est cruelle. Vous aimeriez retourner en arrière, dans les brumes de l’inconnaissance ; mais au fond vous savez qu’il est déjà trop tard.
Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 44.
Ce récit, comme L’orphelin, tient de la protestation idéaliste, malgré moi. Il dénonce ce qu’il énonce, au mépris de la causalité conditionnelle qui fit de ceux dont je parle ce qu’ils furent. Ils ne pouvaient être autres. Telle était la réalité. Mais c’en était une autre, pour immatérielle et mince qu’elle fût, que le déplaisir, la crainte, l’ennui corrosif, l’animosité que j’ai gagnés à leur commerce forcé.
Pierre Bergounioux, « lundi 27 février 1995 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 530.
Le corps se transforme en passant une frontière, on le sait aussi, le regard change de focale et d’objectif, la densité de l’air s’altère et les parfums, les bruits se découpent singulièrement, jusqu’au soleil lui-même qui a une autre tête.
Jean Echenoz, Je m’en vais, Minuit, p. 207.
cette vision nocturne d’un homme qui va
en poussant devant lui une espèce de manche
au bout duquel se trouve une longue guenille
promenée aux rigoles de la rue déserte
cette vision lugubre au milieu de la nuit
de la réalité nocturne du quartier
un homme noir qui pousse ce long instrument
sur le revêtement de la rue bitumeuse
un être appartenant à l’existence humaine
promène dans la nuit une espèce de manche
au bout duquel se trouve une longue guenille
qui passe dans la rue et rassemble l’ordure
oh ! la tranquillité du geste répété !
oh ! la répétition des crasses rejetées
chaque jour sur la rue anonyme où déjà
la pute a disparu parce qu’il se fait tard !
j’ai fermé la fenêtre et baissé le volet
j’ai tiré les rideaux j’ai éteint la lumière
et par le noir de mon cerveau j’ai essayé
d’attraper quelque chose comme un somnifère
pour m’enfoncer au rêve que mon cœur espère
William Cliff, « Hôtel Balima », Immense existence, Gallimard, pp. 38-39.
Les oiseaux braillent si fort, et parmi eux des chieurs, des lâcheurs de fientes, même en plein vol, qu’il les entend à l’intérieur de l’habitacle pourtant toutes glaces levées.
Il baisse la sienne.
Il les entend nettement plus fort.
Vous êtes sûr ? m’écrit un lecteur.
Échange de courrier.
Bon, allez, faut avancer, se dit-il.
Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 25.
Autun. L’électricien aux yeux noyés, une vieille belette. Les enfants le houspillent.
« Comment qu’ça va, missieur J. ?
– Tout doux, tout doux, du Giraudoux. »
À minuit la salle se vide dans un tonnerre, trop d’images dans la tête. On se retrouve tout seul avec 500 mètres à rembobiner.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 59.
Des lapins mystérieux qui filent en fusée dans les taillis brumeux annoncent l’approche du soir et la forêt allemande.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 41.
Mon but ? Il m’atteindra tôt ou tard.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 46.
Car chaque journée est un rêve incohérent qui ne se tient que grâce à la syntaxe.
Éric Chevillard, « mercredi 4 mai 2016 », L’autofictif. 🔗