Une phrase pleine… Qui me donnerait une phrase pleine ? Mais ce serait me tuer.
Renaud Camus, « lundi 3 janvier 1994 », La campagne de France. Journal 1994, Fayard, p. 13.
La philosophie est indispensable à l’homme. Un adulte sans philosophie est grotesque. Il faut savoir trouver son chemin vers elle. Courage et perspicacité.
Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 165.
Nous avons beau veiller, tout est impossible à achever, minés que nous sommes par nos exigences de rupture.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 206.
Éveillé en sursaut, Papantoniou s’assit dans le lit, réalisa, plongea sur le parquet, amorça une pompe, rampa, poings fermés, vers l’entrée, sous la table, sous une chaise, le bassin coinça, marche arrière, atteignit la porte, se releva en catimini.
L’œilleton tordit deux hommes plantés. L’énorme index de l’un passa devant le judas. Instantanément, la sonnette feula.
Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 55.
Qu’est-ce donc qu’un texte poétique dans l’espace de la francophonie ? C’est une kyrielle de mots qui chantent encore et encore la beauté dans toutes ses nuances ; c’est le sourire de quelqu’un qui voyage vers tous ; c’est une missive inspirée par la flamme de l’amour et qui déploie pour l’utopie des ailes d’oiseau…
[…]
Au réel, déjà dissous par la technique dans le virtuel, la langue en fête substitue les colombes de la propagande et l’abstraite ferveur des clichés. Tandis que l’écran dématérialise l’existence, l’écrit la délivre de ses impuretés. La terre et le terre-à-terre, le géographique et le trivial sont congédiés simultanément. L’angélisme triomphe avec l’artificialisme. Il n’y a de poésie, pour la culture en mouvement, que dans l’oubli lyrique du monde concret. Le oui extatique à la vie que profère cette muse est un non catégorique à l’intelligence de l’humain, et son grand message de paix et d’amitié, une fermeture au donné, froide, définitive, implacable.
Alain Finkielkraut, « Les transports lyriques de l’âme fermée », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 84-85.
La conversation de la vieille M. est pleine d’épaves qui flottent. Du bon vieux chic, des expressions de gouvernante anglaise du début du siècle, du vocabulaire technique ou sportif d’amants qui ont disparu sans laisser d’autre trace, de l’argot vieilli ; des traces de divers passages dans des couches sociales traversées.
Paul Morand, « 29 décembre 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 691.
Ses escaliers crèvent les plafonds ; puis j’enrage de manquer d’imagination pour deviner où ils mènent et visiter cette étoile.
Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 104.
riant du guépard si véloce que son train arrière a du mal à le suivre et que son flanc élastique s’étire tant que, lorsqu’il s’arrête enfin, le corps distendu du félin mesure la longueur de sa course, puis son arrière-train l’assomme
Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 21.
je vis les noirs martinets
tourner dans un ciel d’orage
en criant criant mais n’est-
ce pas d’un sombre présage ?
au matin j’étais à Vienne
sur le Rhône un aigle noir
labourait l’air de ses pennes
pour revoir Montélimar
mais soudain il dériva
comme un cerf-volant qui casse
sa ficelle et s’en reva
vers de plus vastes espaces
William Cliff, « Montélimar », Immense existence, Gallimard, p. 41.
Il fait si froid qu’on ne peut s’arrêter nulle part, ni rêver ; la rêverie est prise dans la marche : une rêverie obstinée, de la pensée, plutôt, à l’état naissant, prête à bondir vers la joie ou la tristesse où elle se défait.
Richard Millet, Eesti. Notes sur l’Estonie, Gallimard, p. 68.
On peut éprouver de la sympathie pour un optimiste, bavarder avec lui, échanger quelques banalités, quant à avoir une discussion c’est une autre histoire.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 33.