exception

Si vous pratiquez l’exception à une règle, la plupart des gens croiront que vous ignorez la règle. Si vous pratiquez l’exception à l’exception à une règle, ce qui consiste, dans la majorité des cas, à opérer un retour à la norme, la plupart des gens croiront que vous ignorez l’existence de l’exception.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 24.

David Farreny, 13 avr. 2002
bâton

La femme est une grande réalité, comme la guerre. Je sais : la raison les repousse, les refuse, les nie. On nous a élevés à vivre dans les rêves et les théories, et nous crions quand la vie nous opère de nos rêves et quand la réalité prouve fausses nos théories. Le jeune homme sort de l’école avec sa mesure toute prête, son mètre, et il se fâche parce que les choses s’obstinent à être plus grandes ou plus petites que son mètre. La réalité lui apprend à diviser son ridicule bâton en dix, en cent et en mille parties s’il le faut. C’est ainsi que ma guerre m’a mûri ; je ne le dirais pas si ce n’était pas vrai : avant il allait de soi que j’étais mûr.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 259.

Élisabeth Mazeron, 14 juin 2006
périclitez

Passez nuages

pauvres heures

grosses nuées porteuses

de crépitantes

gifles froides

défilez

indigentes journées

années lugubres

périclitez

projets infimes

sombrez

passions naines

étiolez-vous

désirs

et surtout ne revenez

jamais

Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 8.

David Farreny, 20 août 2006
dissous

Nous ne mourons pas entièrement à notre mort : nous nous sommes graduellement dissous longtemps avant. Faculté après faculté, intérêt après intérêt, attachement après attachement, toutes ces choses disparaissent les unes après les autres ; nous sommes arrachés à nous-mêmes durant notre vie, chaque année qui passe voit en nous un être différent, et la mort ne fait que consigner dans la tombe le dernier fragment de ce que nous étions.

William Hazlitt, Sur le sentiment d’immortalité dans la jeunesse, Allia, p. 45.

Élisabeth Mazeron, 28 nov. 2007
semblable

Mais qu’attendre précisément du spectacle et du théâtre quand ils ne veulent plus tromper le public, ou le trahir, mais ne demandent qu’à se retrouver en phase avec lui, qu’à faire cause commune avec ses supposés désirs livides de fraternité, de solidarité, d’égalité, de parité et de transparence ? Qu’attendre, en somme, de son semblable ? Qu’attendre de ce qui ne cherche même plus à établir avec vous et lui la moindre querelle, et encore moins l’envenimer ? Qu’attendre de ce qui ne veut, ou ne peut, même plus être désiré ? Qu’attendre de ce qui ne cherche même plus à vous séduire ? Qu’attendre de ce qui vous ressemble tant que c’en est dégoûtant ?

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, p. 653.

David Farreny, 2 fév. 2008
las

Ce serait donc un homme si las (mais ce jour-là seulement, peut-être ; inutile d’en faire un trait de caractère), ou bien si cruellement blessé, si profondément apeuré, d’une pudeur tant exaspérée, que sais-je, ou si mécontent de lui-même, tellement échaudé par le mauvais succès de toutes ses récentes initiatives sociales, intellectuelles, sentimentales, qu’importe (et celles-ci parfaitement contradictoires, pourtant), bref si durement rabroué par les ultimes leçons dont l’aurait gratifié l’existence, qu’il ne pourrait plus supporter l’idée d’émettre le moindre sens. S’exposer encore au jugement de quiconque, courir une nouvelle fois le risque, ou plutôt s’assurer l’épreuve, de malentendus inédits, de neuves moqueries, de camouflets ou de coups de règle sur les doigts, de niaises admirations, de compliments déplacés et d’insultes, de dédains ou d’humiliantes flatteries, se commettre, en somme, une fois de plus avec la vie, extraire du fond de sa bêtise ou de sa méchanceté, de son ombrageuse humeur, de sa tendresse ou de son exaspération, du tréfonds disparate de son moi, les échantillons les plus purs, les mieux décaparaçonnés, de ce qu’il est, de ce qu’il pense, de ce qu’il ressent, médite, projette, pour les placer sous les yeux du monde — celui-ci ne serait-il au demeurant qu’un ami, l’amour, la blanchisseuse, trois lecteurs —, tirer encore une fois par la manche le sort, paraître à nouveau s’accrocher aux basques du destin, se manifester derechef auprès des vivants, présenter ses doléances au hasard, faire le moindre bruit, dire quoi que ce soit, il n’aurait plus, de tout cela, ni la force, ni le courage, ni la plus mince envie.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 9-10.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
engrenage

Nos poumons et nos bronches se mettent au repos – pompes sans cesse activées pour lutter contre l’asphyxie qui à chaque instant nous menace : inspiration, expiration, celle-ci suivie de funérailles. L’œuvre de Dino Egger eût brisé cet engrenage fatal, apaisé notre halètement. Nous recouvrons le calme propice aux pensées délicates, aux amples conceptions, aux affections durables. Notre cœur cependant bat toujours : c’est l’émotion.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 102.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
première

Les grandes promenades dans Paris, je les fais généralement à pied. J’ai parfois recours à l’autobus ou au métro, fusées porteuses qui me placent sur orbite. […] Je me parachute dans des secteurs moins connus pour le plaisir des quelques secondes pendant lesquelles, au sortir de la bouche de métro, complètement désorienté, je ne sais plus où je suis. Cette impression ne dure pas car, en vieux Parisien, je retrouve quand même assez vite mes marques, mais elle est vertigineuse. En montant les escaliers d’une station uniquement choisie pour son nom, parce qu’il ne me disait rien, j’émerge progressivement à la surface de la ville, dans une rue ou un carrefour inconnus à première vue, et c’est comme une nouvelle naissance.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 67.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
tour

En sortant de voiture, je me suis avancé tout de suite entre les arbres. J’avais emporté avec moi une petite bouteille d’eau de source locale, que je tenais à la main faute d’avoir songé à acheter un sac à bandoulière, voire un sac à dos, et, tout en marchant, je projetais à quelques centimètres de haut ma petite bouteille, en la faisant pivoter en l’air, puis je la rattrapais quand elle avait fait un tour sur elle-même. J’ai modestement jonglé comme ça cinq minutes, après quoi je me suis concentré sur ma promenade.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 39.

Cécile Carret, 27 sept. 2011
mystère

À Linz, la seule discipline où Adolf excelle est l’histoire ; elle est enseignée par un professeur pangermaniste, le Dr Léopold Pötsch, auquel il rendra un hommage ému dans son précis pour des temps barbares plébiscité sous le titre Mein Kampf. Ludwig, lui, obtient de très bons résultats en éducation religieuse : d’une certaine manière, la figure du Christ l’accompagnera jusqu’à sa mort. Un Christ qui, cloué sur sa croix, doute de Dieu, doute de l’humanité, doute de lui-même et en arrive dans son désespoir à la conclusion que dans cette farce absurde que nous sommes amenés à jouer, peu importe que nous ayons été bons ou mauvais, vils ou nobles, bourreaux ou victimes, sauvés ou damnés… Peut-être est-ce cela que voulait signifier Wittgenstein quand il répétait : « On ne peut raisonnablement ressentir de la rage, même contre Hitler, encore moins contre Dieu. » Selon la formule consacrée, on tue un homme, on est un assassin ; on en tue des millions, on est un conquérant ; on les tue tous, on est un dieu. Le principal défaut de Hitler, ce nécrophile méticuleux, fut de ne pas travailler comme le Grand Dépeceur dans l’anonymat le plus absolu : sans mystère, pas de séduction.

Roland Jaccard, « Le fantôme de Weininger », L’enquête de Wittgenstein, P.U.F., pp. 15-16.

David Farreny, 6 déc. 2014

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