apéritifs

Prévenez-moi si la vie commence

je ne voudrais pas rater ça

les heures deviennent longues

entre les apéritifs

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 66.

David Farreny, 20 mars 2002
gombrowiczien

Je n’ai, moi, jamais signé de contrat stipulant livraison d’idées absolument inédites. Certaines idées flottant dans l’air que nous respirons ont su se nouer en moi en un sens spécifiquement gombrowiczien, unique et impossible à recréer : et ce sens, je le suis moi-même.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 209.

David Farreny, 21 mars 2002
charité

Rien n’est seulement ce rien : voilà ce que rabâchent l’utopie, l’espérance, la foi, la littérature et la charité.

Renaud Camus, Le département de la Lozère, P.O.L., p. 158.

David Farreny, 13 avr. 2002
réserve

Il n’y a pas grand-chose à faire. Je propose mes services à qui en veut. Justement, le service d’ordre manque de bras. Je me présente aux barrières, où l’on contrôle les vignettes. Il y a là quatre ou cinq gars, très peuple, et comme chaque fois qu’il me faut agir à la base, c’est en passant outre la réserve instinctive que m’inspirent la dégaine, le ton, les plaisanteries des camarades. C’est au nom d’une certaine morale, tout abstraite, que je les ai rejoints, à vingt ans, et il m’en coûte toujours autant de composer avec la réalité humaine qui en est porteuse. […] Deux, au moins, des gars sont de ces gens au commerce desquels je préférerais, comme Stendhal l’avoue dans son journal, la solitude du cachot, épais, au physique et au moral, hâbleurs, amis de la grasse blague et des Kronenbourg. Les autres, des métallos, ont cette allure entière, ouvrière, dans l’action et l’expression, l’affirmation de soi, à quoi s’oppose ma retenue de petit-bourgeois. Le public est à l’avenant, très populaire. Frappé du nombre et de la force des marques et stigmates corporels, mutilations et handicaps, déformations, tatouages, colifichets, maquillage. Les femmes arborent de prodigieux embonpoints, des fards agressifs, les hommes de fortes moustaches, et parlent haut. Je me surprends à adopter, malgré moi, une posture d’observation et non de participation. Tout, hormis de vastes et vagues idéaux de justice sociale, tout me sépare d’eux.

Pierre Bergounioux, « samedi 11 juin 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 213-214.

David Farreny, 14 mars 2006
concrétions

Il fait une journée splendide, très chaude mais sans oiseaux ni parfums ni espérance. J’esquisse un plan, jette, dirait-on, des grains de sable dans le vide, autour desquels pourraient se former des concrétions. Il me manque toujours l’arête. Je m’en remets sur l’avancée d’apporter ses propres rails, d’engendrer sa substance. Les mots, en revanche, tombent d’eux-mêmes, épousent la vision. Je couvrirai une page au prix d’un travail inélégant, brutal — la course à travers la sapinière, dans la frange interdite, sous le soir.

Pierre Bergounioux, « dimanche 2 septembre 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 336.

David Farreny, 25 mars 2006
létal

Est-ce le destin des rêves de dépouiller leurs vertus et leur charme lorsqu’ils s’accomplissent ? Enferment-ils un germe létal qui les détruit lorsqu’ils quittent la chambre où ils naquirent pour l’espace non protégé du dehors ? L’utopie semble vouée à nourrir l’utopie, le possible à engendrer du possible, tout réel à se nier. À peine les idéaux se sont-ils composé un visage qu’on y voit apparaître les stigmates inéluctables, dirait-on, de la tyrannique réalité.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, p. 31.

David Farreny, 17 oct. 2006
ou

Werner était glacé d’épouvante. Il sentit qu’il fallait maintenant livrer le dernier combat. Son outil allait et venait, étincelant, halluciné comme un fugitif, et parcourait les rainures déjà tracées d’où giclaient les copeaux. Il voulait arriver avant l’autre. Mais celui-là taillait avec un calme impitoyable et brutal, coup après coup, et détruisait sardoniquement chaque trait dessiné par Werner hors d’haleine. Enfin il sembla au malade que sa précipitation sans relâche, totalement vaincue, était désormais passée au service de l’ennemi. Alors il fut saisi par la colère du désespoir. Sa main droite, tremblante, assaillait le bois de chocs toujours plus sauvages et plus incohérents. Ses yeux ne la suivaient plus. Il les fixait vers l’extérieur, sur le visage rouge du soir, et il hurla : « C’est toi ou moi. » Pendant ce temps sa main droite, comme détachée de lui, s’activait toujours, et sa lame acérée ne donnait plus forme au bois dur. Il sculptait ses propres mains sanglantes.

Rainer Maria Rilke, Au fil de la vie, Gallimard, p. 123.

Élisabeth Mazeron, 17 janv. 2008
narration

Je disais, par exemple : Cette nuit, j’ai de nouveau rêvé que je me promenais rue du Kanal en compagnie de Dora Fennimore. Et, après une ou deux secondes de silence, j’ajoutai : Dora Fennimore avait une robe ravissante. Et, comme quelqu’un me demandait des précisions vestimentaires, je disais : Une longue robe chinoise, fendue, bleu profond, avec des revers shocking rose. Puis je laissais les exclamations admiratives se tarir, et ensuite je disais : Il régnait dans la rue du Kanal la même ambiance que sur le décor que je vois en ce moment entre les planches. Et, comme il fallait poursuivre, comme on m’invitait à aller de l’avant dans ma narration, je disais : C’est-à-dire que l’on ne savait pas si l’atmosphère était féérique ou extrêmement sinistre. Puis : Par exemple, au-dessus de nos têtes planaient des oiseaux et des papillons immenses, mieux adaptés que nous aux nouvelles conditions sociales et climatiques. Et, comme une voix derrière moi me demandait quel aspect, plus précisément, avaient ces bêtes, je disais : Ailées, d’un gris bouleversant, taillées dans des matières organiques veloutées, avec des yeux richement noirs qui observaient l’intérieur de nos rêves. Et, après une pause, j’ajoutai : Dora Fennimore et moi, nous nous promenions sous leurs ailes sans nous préoccuper d’autre chose que de vivre.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 206.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
hors

Elle semble bien comprendre ma question, une question d’homme, celle qui se pose aux lecteurs de La Princesse de Clèves, au moment où l’héroïne, lorsqu’elle se trouve enfin libre de répondre au désir du duc de Nemours, qui l’a si fort troublée, choisit plutôt « le repos ». Il y a une paix de l’intimité solitaire, hors d’atteinte de l’intrusion masculine et en général de l’intrusion, me dit-elle : être chez soi, travailler ou ne rien faire, écouter de la musique, et dont elle évoque un exemple. Ou plutôt une sensation qu’elle éprouve fréquemment, et dont elle essaie de me donner une idée : quand elle va faire des longueurs à la piscine, et que les cheveux et les oreilles étroitement enserrés dans un bonnet, elle-même contenue par l’eau qui l’enveloppe étroitement et l’isole, seule avec le tout d’elle-même, sans dérangement au moins pendant ce temps-là. L’exemple est énigmatique, et suggestif.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 77.

Cécile Carret, 13 mars 2011
place

Sa figure prit de nouveau une expression de surprise ; il ne pensait pas qu’une femme oserait parler ainsi à un homme. Quant à moi, je me sentais sur mon terrain ; je ne pouvais pas entrer en communication avec les esprits forts, discrets et raffinés, soit d’hommes, soit de femmes, avant d’avoir dépassé les limites d’une réserve conventionnelle, avant d’avoir franchi le seuil de leurs confidences et pris ma place près du foyer de leurs cœurs.

Charlotte Brontë, Jane Eyre ou les mémoires d’une institutrice, FeedBooks.

Cécile Carret, 11 nov. 2011
épilogues

À vrai dire, ma vie était criblée d’amis et de femmes perdus de vue. Certains avaient, sans doute, des choses réelles à me reprocher. D’autres s’étaient éloignés, tout simplement, sans même y penser, comme une planète s’éloigne d’une autre, emportée par d’imperceptibles gravitations. Dans la plupart des cas, ce n’est pas tant le manque de tel ou telle qui me troublait que tous ces vécus dévalués par leurs épilogues. J’aurais souhaité, dans mes relations, plus d’invariants. Certes, l’amitié et l’amour impliquent, je le sais, un échange entre deux êtres. Mais l’idée d’échanger a quelque chose de décevant. C’est une idée qui s’apparente trop à l’économie, pas assez à la foi. J’aurais sincèrement aimé connaître des liens sous un mode désintéressé et unilatéral. Mais la vie en société m’apparaissait rétrospectivement sous un jour atrocement contractuel.

Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, pp. 65-66.

David Farreny, 20 fév. 2015

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer