représentation

Une chose arrive

qu’on n’attendait plus

on l’accueille avec une réserve

bienveillante et cosmique

non sans penser aux désirs de feu

qui parfois nous ont ravagés

et n’ont eu comme les étoiles

qu’une pauvre durée de vie

Je mène deux pages de front

car ce n’est pas la vie qui est belle

c’est sa représentation

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 56.

Élisabeth Mazeron, 23 juin 2006
élytres

Je me suis mis au travail, une flaque de sueur sous chaque coude, en sachant bien que je trichais, que j’avais peur, que je m’attachais au mât comme UIysse. Il s’agit d’autre chose ici. La nuit regorgeait de lenteur d’un silence interrompu seulement par le bref galop des chèvres qui tondent les bastions, ou le bourdonnement de je ne sais quelle beste dans ma toiture. Pour me donner du cœur et garnir un peu mon carquois, j’ai fait le compte des chambres où je suis passé depuis mon départ. C’est la cent dix-septième. La prochaine risque d’attendre longtemps son tour. Il faut bien s’arrêter de temps en temps pour apprendre à faire sa musique, faire un peu chanter ses élytres, non ?

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 33.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
historique

La neige sur les toits millier de pages

une bande d’étourneaux les notes de Satie

une à une dans l’hiver comme un pincement

les années qui s’ébattent s’emboutissent

déferlement d’inclassables saisons. Cette

promenade toujours refusée par l’Amour menu !

Le coteau n’était-il pas de neige lui aussi

cela devient historique mais vivrais-je cent ans

que rien de plus ne sortirait de ce petit

cadavre. Enfin Jeanne souvenez-vous, Chinon ?

Jean-Pierre Georges, Dizains disette, Le Dé bleu, p. 76.

David Farreny, 18 juin 2008
bêtise

Les œuvres sans bêtise n’ont aucun intérêt. Elles ratent le corps. Le génie, c’est un aménagement technique de la bêtise : j’ai souvent exprimé ailleurs cette conviction — mais la bêtise, c’est aussi la répétition, le ressassement, l’espoir absurde d’en finir une bonne fois avec la bêtise, avec le sens, avec l’expression et le vouloir-dire, avec le corps (or on n’en finit pas plus, évidemment, qu’on n’a jamais pu commencer). Qu’y a-t-il de plus bête que l’obsession du rang chez Saint-Simon, la mondanité chez Proust, le familialisme petit-bourgeois chez Joyce ? Et pourtant, ôtez cette matière, éminemment première, que reste-t-il des œuvres ? Ce n’est pas en faisant une croix sur la bêtise que l’on écrit de bons ou de grands livres, c’est en cherchant un arrangement avec elle, en la malaxant indéfiniment, en lui imposant une forme sans la réduire en volume ni en vivacité, en la soumettant à l’intelligence, au travail, au talent, au génie, selon les moyens dont on dispose.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., pp. 42-43.

David Farreny, 5 mai 2009
modulations

Aller un peu mieux, un peu moins bien, ce ne sont que les modulations d’une universelle condition, qui consiste à être, et dont on ne sait pas quoi dire d’autre. Je suis, voilà ce que tu entendais ta mère déclarer au téléphone, je suis, avec incertitude, hésitation, parce qu’on n’en est jamais tout à fait certain. Que répondre à cela ? Et puis, tu ne le sais pas encore tout à fait, mais cela viendra, on le sait en toi, et pour toi, il n’y a rien à dire de ce qui est.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 303.

David Farreny, 2 déc. 2009
dans

Mais, pour l’individu, la nature inorganique devient une nature présupposée, trouvée là ; et c’est en cela que consiste la finitude du vivant. L’individu est pour lui-même face à cette nature, mais de telle manière que cette connexion de tous les deux est, sans réserve, une connexion absolue, indissociable, intérieure, essentielle, car l’être organique a cette négativité dans lui-même.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 667.

David Farreny, 23 mai 2011
inaugure

Le repas s’est poursuivi dans une ambiance moyenne, qu’alourdissait vaguement le silence des Jordan. De mon côté, je filais un mauvais coton avec Agnès. La vérité est que je me révélais sensible à son regard mouillé, à sa tristesse et à la manière dont, apparemment, y compris dans les moments difficiles, elle persistait à mettre en valeur ses seins comme s’il s’était agi d’une ligne de front en deçà de quoi elle s’interdisait de reculer quelles que soient les circonstances. Ou bien, ai-je songé, les chemisiers qu’elle porte, dont le boutonnage s’inaugure très bas, sont chez elle une vieille habitude vestimentaire et elle n’y pense même pas, mais cette absence à soi m’excitait tout autant. Il faut que j’en tienne compte, me suis-je dit, et j’ai cru que, pour la première fois depuis mon départ, je me sentais vivre.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 148.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
ensemble

Nous deux à jamais ensemble en habit de moments révolus.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 280.

David Farreny, 2 avr. 2013
convenu

C’était convenu entre eux, l’hôte accueillerait l’hôte. Ils se rencontrèrent à mi-chemin avec leurs valises.

Éric Chevillard, « vendredi 23 novembre 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2024
mésaventure

Nos proches devraient prendre soin de mourir à un moment où nous ne traversons pas une période d’atonie. Sans quoi, quel effort pour s’intéresser à leur mésaventure !

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 944.

David Farreny, 7 mars 2024

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