imposteur

Depuis le temps qu’il le cultive, c’est un sujet qu’il pourrait traiter les yeux fermés, la tête en bas, et en commençant par la fin. Sa propre dextérité, en la matière, l’agace un peu, même. Elle lui donne parfois, paradoxalement, le sentiment d’être un imposteur. Non pas un imposteur par défaut : un imposteur par excès.

Renaud Camus, Voyageur en automne, P.O.L., p. 14.

David Farreny, 21 déc. 2004
écorchées

Il y avait les ouvrages de géographie aux couleurs fallacieuses et suaves, les plaines roses et les monts outremer, les départements jaune soufre et les archipels de neige, un traité de mécanique en trois tomes illustré de gravures sur acier, pourvu de dépliants qui s’ouvraient, comme des ailes, sur des steamers en coupe et des locomotives écorchées, un volume d’anthropologie montrant les insulaires des Salomon et les nomades du Kalahari qui nourrissait mes lectures d’évasion, et puis les volumes aux plats ornés d’un buste de la République aux yeux étincelants, de drapeaux, d’astérisques aux branches aiguës, inégales, dorées, représentant des explosions.

Pierre Bergounioux, Le bois du Chapitre, Théodore Balmoral, pp. 21-22.

David Farreny, 21 oct. 2005
autorité

Toute autorité suppose l’assentiment de ceux qui la subissent, même si elle ne repose pas sur la démocratie. « Je suis leur chef, il faut bien que je les suive », disait un officier français, se faisant inconsciemment l’écho de Burke : « Ceux qui prétendent mener doivent, dans une large mesure, suivre. Ils doivent conformer leurs propositions au goût, au talent et au caractère de ceux qu’ils veulent commander. » Un ambassadeur français s’extasiait devant l’aisance avec laquelle Catherine la Grande se faisait obéir. Elle rit : « Je me renseigne pour savoir ce qu’ils ont envie de faire, et ensuite je le leur ordonne. »

Vladimir Volkoff, Pourquoi je suis moyennement démocrate, Le Rocher, p. 86.

David Farreny, 5 mars 2007
brumes

Route d’Ordu

Vingtième heure de conduite

C’est mon tour de dormir. Dormir dans la voiture, dormir, rêver sa vie, le rêve changeant de cours et de couleur à chaque cahot, menant rapidement l’histoire à son terme lorsqu’un cassis plus profond vous ébranle, ou un changement soudain dans le régime du moteur, ou enfin le silence qui déferle quand le conducteur a coupé le contact pour se reposer lui aussi. On presse sa tête meurtrie contre la vitre, on voit dans les brumes de l’aube un talus, des bosquets, un gué où une bergère en babouches, un rameau de noisetier à la main, fait passer un troupeau de buffles dont l’haleine chaude, sentant fort, vous réveille cette fois tout à fait ; et on ne perd rien à débarquer dans cette réalité-là.

La bergère approche prudemment sa tête de la vitre, prête à s’enfuir. Elle a douze ou treize ans, un fichu rouge sur la tête et une pièce d’argent suspendue au cou. Ces deux morts mal rasés l’intriguent énormément.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 103.

Cécile Carret, 8 sept. 2007
universel

De tous les bords, tous les journaux (il en est dans toutes les langues et tous les formats) l’annoncent d’un même cœur au monde : l’amour universel, les voies ferrées, le commerce, la vapeur, l’imprimerie, le choléra, embrasseront ensemble tous les pays et les climats. Nul ne s’étonnera si le pin ou le chêne suent le lait ou le miel, ou même se mettent à danser la valse ! Tant la puissance des alambics et des cornues et des machines concurrentes du ciel a crû jusqu’ici et se développera dans l’avenir, puisque, de jour en jour, plus haut s’élève et toujours plus s’élèvera la semence de Sem, de Cham et de Japhet.

Certes, la terre ne se nourrira pas pour autant de glands, si la faim ne l’y force ; elle ne déposera pas le dur soc ; souvent elle méprisera l’or et l’argent pour se contenter de billets. La généreuse race ne se privera pas non plus du sang bien-aimé de ses frères — et même elle couvrira de cadavres l’Europe et l’autre rive de l’Atlantique, jeune mère d’une pure civilisation, chaque fois qu’une fatale raison de poivre, de cannelle, de canne à sucre ou de quelque autre épice, ou toute autre raison qui tourne à l’or, poussera dans des camps contraires la fraternelle engeance. Sous tout régime, la vraie valeur, la modestie et la foi, l’amour de la justice seront toujours étrangers, exclus des relations civiles, et sans cesse malheureux, accablés et vaincus, car la nature a voulu qu’ils restassent cachés. […]

Heureux ceux qu’à l’heure où j’écris la sage-femme reçoit vagissants dans ses bras ! Eux qui verront ces jours soupirés, quand, par de longues études, et dès le lait de la chère nourrice, tout enfant apprendra le poids de sel, de viande et de farine que son village natal engloutit chaque mois, le nombre de naissances et de morts qu’enregistre tous les ans le vieux curé — quand, par la puissance de la vapeur, imprimés par millions en un instant, comme une bande de grues dans le ciel qui soudain dérobe le jour aux vastes campagnes, les journaux couvriront les plaines et les monts et, je l’imagine, les immenses étendues de la mer : les journaux, âme et vie de l’univers et source unique de savoir pour ce siècle et les temps à venir.

Giacomo Leopardi, « Palinodie au marquis Gino Capponi », Chants, Flammarion, pp. 225-229.

David Farreny, 10 juin 2009
rapport

Jules Renard et Fernando Pessoa sont morts à l’âge que j’ai aujourd’hui. Vous ne voyez pas le rapport.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 54.

David Farreny, 17 juin 2009
détache

Le plus intéressant dans cette histoire, c’étaient les lieux. La campagne est magnifique, en ce moment ; et même cette terrasse de Mauvezin, dans sa paisible insignifiance, son Dasein insinuant, tout de vacance, un dimanche fait espace, du rien fait air… J’imagine que la perversion commence quand les balustrades se mettent à produire plus d’effet sur vous que les corps, les ciels que les visages, les feuillages que les queues… À moins que ce ne soit le grand âge ? Ou bien encore la sagesse, le détachement ? Programme d’une vie : je me détache. Programme d’une mort ?

Renaud Camus, « dimanche 23 août 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 244.

Élisabeth Mazeron, 28 avr. 2010
couvrir

Une fourrure, en fourrure, en fourrure de vison, en fausse fourrure rose, en noir, en brillant, se mettre au moins une culotte, pouvoir se mettre déjà une culotte pour commencer pour se couvrir, pour se couvrir, se mettre au moins un pull, au moins une laine, une écharpe, se le mettre sur soi, se couvrir, d’une petite culotte, d’une simple culotte de coton, pour se cacher les fesses, le sexe, ou au moins une jupe, une serviette autour des reins, une robe de chambre, un peignoir de coton, en serviette éponge, en éponge, blanc et rose, une simple couverture, se couvrir d’au moins une laine, une couverture de laine, et mettre une fourrure longue, d’un long manteau en poils de vison, de lapin, de renard, de ragondin, de rat d’Amérique, épais, couvrant, long, qui couvre les jambes et le dos et les reins, ou au moins avoir la possibilité de mettre, de se couvrir d’une petite culotte, de se vêtir, d’être couvert, d’avoir le sexe couvert, d’avoir les fesses couvertes, de se tenir, de se tenir debout avec sur soi au moins une petite culotte blanche de coton, une fine culotte de coton, et se couvrir des poils longs d’un vison, d’une bête, de la fourrure, du pelage d’une bête chaude pour ne plus pouvoir avoir froid, une fourrure qui tienne chaud par tous les temps, même s’il fait froid, une fourrure couvrante qui couvre les épaules, qui recouvre les épaules et le cou et la nuque et les reins, qui monte haut et qui descend bas presque jusqu’aux pieds, le long des jambes, recouvrant les genoux, plus bas que les genoux, au dessous des genoux, des chevilles au haut du cou enveloppe, tient chaud, réchauffe, entoure, ne laisse pas entrer le froid, l’air froid des blizzards et des tempêtes de froid et de neige, qui tienne chaud de haut en bas, qui ne laisse pas de froid entrer, ou simplement se mettre, pouvoir se couvrir d’une culotte, une petite culotte de coton, avoir une petite culotte à se mettre, un slip de bain, un bas, un bas quelconque, avoir de quoi se couvrir les fesses et le sexe, le pubis, le sexe, qui cache, couvre et habille et enveloppe, et dissimule, et fait se vêtir et fait s’être vêtu pour ne pas aller nu, pour ne pas aller nu.

Christophe Tarkos, Anachronisme, P.O.L., pp. 63-64.

Bilitis Farreny, 20 août 2010
place

Sa figure prit de nouveau une expression de surprise ; il ne pensait pas qu’une femme oserait parler ainsi à un homme. Quant à moi, je me sentais sur mon terrain ; je ne pouvais pas entrer en communication avec les esprits forts, discrets et raffinés, soit d’hommes, soit de femmes, avant d’avoir dépassé les limites d’une réserve conventionnelle, avant d’avoir franchi le seuil de leurs confidences et pris ma place près du foyer de leurs cœurs.

Charlotte Brontë, Jane Eyre ou les mémoires d’une institutrice, FeedBooks.

Cécile Carret, 11 nov. 2011
préférence

En montrant les conditions sociales d’une préférence, le relativiste s’imagine avoir résolu le problème de sa valeur.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 34.

David Farreny, 3 mars 2024

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