languide

La vie n’est pas une chose à dire, elle est à faire, à aimer, à agir, à subir, à mordre ! Mais la dire… seul un esprit déficient, de complexion languide, se complaît en telle ineptie.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 112.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
couches

j’ai beaucoup été couchée,

dans des couches de jour et de sommeil différents.

Sabine Macher, Un temps à se jeter, Maeght, p. 38.

David Farreny, 3 mars 2008
saison

Quand la belle saison est là, on ne sait plus pourquoi on attendait la belle saison.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 62.

David Farreny, 12 mars 2008
image

Lorsque deux chaises sont disposées au milieu du petit salon de Keats, exactement de la même façon qu’en le célèbre tableau de Severn, si souvent reproduit, montrant Keats lisant là, sur une chaise, le coude appuyé sur une autre en face de la baie, une vibration de vérité se produit, qu’aucune notice didactique ne déclenchera jamais […]. Bien sûr, la référence, dans la simple et efficace mise en scène des deux chaises, n’est toujours pas le “réel”, cet éternel déserteur de la pensée comme de la rêverie (mais pas de la douleur, bon). La référence, c’est seulement le tableau de Severn, et Severn n’a jamais vu Keats lisant dans la maison de Hampstead. Cependant il s’est beaucoup renseigné auprès de Brown, qui lui a envoyé des descriptions méticuleuses, presque maniaques : il fallait que la postérité sût bien dans quelle position lisait Keats à Wentworth Place. Et surtout il y a cette phrase insondable de Keats qui nous permet d’entrevoir que la solution c’est le problème lui-même, et que l’essence des choses c’est de nous échapper indéfiniment, comme le sens :

« And there I’d sit and read all day like the picture of somebody reading » (comme l’image de quelqu’un qui lit).

Nous ne faisons jamais qu’imiter quelqu’un qui vivrait (et qui lirait, surtout).

Renaud Camus, « Wentworth Place, à Hampstead, Londres. John Keats », Demeures de l’esprit. Grande-Bretagne I, Fayard, pp. 394-395.

David Farreny, 6 juin 2010
travaille

— Mais moi monsieur, je travaille !

— Bien sûr, que pourriez-vous faire d’autre…

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 73.

David Farreny, 27 juin 2010
carénée

Il y aurait donc un hangar pour les troncs, un autre pour les pierres, un troisième, peut-être, pour les créatures les plus remarquables que, l’expérience aidant, je ne manquerais pas de tirer de l’eau ou des bois, carpes centenaires, grosses truites dont je me flattais de surprendre la méfiance légendaire, brochets géants à la gueule dentue, carénée, qu’on hale sur la berge, au plus froid de l’hiver, que je comptais naturaliser, comme les sangliers qui viennent herser les champs de maïs et de pommes de terre, la nuit, les renards, les fouines, certains oiseaux richement colorés, des serpents. Ces anticipations n’ont jamais pris corps mais elles m’ont aidé à supporter la fadeur et la contrariété, l’incertitude de cette époque.

Je ne saurai jamais le goût de la vie maniaque, pétaradante, sous la casquette à pont, dont les contours étaient déjà nettement tracés lorsque, pour mon malheur, je suis tombé amoureux.

Pierre Bergounioux, Trois années, Fata Morgana, p. 32.

David Farreny, 24 sept. 2011
bonheur

Notre grade ne nous autorise pas à satisfaire à des demandes du genre de celles dont il s’agit dans ces cas-là, mais la présence de cette partie nocturne fait croître en quelque sorte nos pouvoirs officiels, nous promettons des choses qui ne sont pas de notre ressort, pis même, nous promettons de tenir nos promesses. La partie nous arrache, la nuit, comme le brigand au coin du bois, des sacrifices dont nous ne serions jamais capables à l’ordinaire : soit, il en va ainsi tant que le plaignant est là, tant que sa présence nous fortifie, nous contraint, nous excite ; que se passera-t-il quand il sera parti, repu, et inconscient, nous laissant seuls et sans défense en face de notre abus de pouvoir ? Je n’ose y penser. Et cependant nous sommes heureux. Ah ! que le bonheur peut ressembler au suicide !

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 763.

David Farreny, 24 oct. 2011
frappe

Plus je lis de ces livres intéressants mais pas déterminants, plus me hante cette nécessité d’une frappe verbale exacte. Gifle ou caresse, mais précise, exactement mesurée, impeccablement juste.

Antoine Émaz, Cuisine, publie.net, p. 262.

Cécile Carret, 2 fév. 2012
mot

Le lecteur, dans ces après-midis passés sur le haut plateau, ne cessait de payer un tribut toujours renouvelé à l’épopée – et aussi de rire : non du rire par lequel on se moque, mais de celui qui accompagne la découverte et le jeu. Oui, il existait, le mot unique pour le coin de clarté dans un ciel nuageux, les folles allées et venues des bovins quand le taon les pique par temps de canicule, le feu qui soudain jaillit du poêle, le jus des poires cuites, la tache sur le front d’un taureau, l’homme qui essaie de se dégager de la neige à quatre pattes, la femme qui met ses robes d’été, le clapotis du liquide dans un seau à moitié vide, le ruissellement de la semence quittant la capsule du fruit, le ricochet du galet à la surface de l’étang, les langues de glace sur l’arbre hivernal, l’endroit trop cru de la pomme de terre bouillie et la flaque sur un sol argileux. Oui, c’était cela, le mot !

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 162.

Cécile Carret, 21 sept. 2013
première

C’était la première fois, a-t-elle livré, qu’elle était avec quelqu’un qui n’avait pas déjà une vie derrière lui, quelqu’un qui n’était pas avec quelqu’un d’autre en même temps.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 117.

Cécile Carret, 19 mars 2014
ralenti

Tu oubliais les détails. Tu aurais fait un mauvais témoin pour restituer dans l’ordre les événements précédant un accident. Mais ta lenteur et ton immobilité te permettaient de voir le ralenti du mouvement collectif qui, dans l’urgence et le détail, échappe aux autres. Dans une petite ville de province, en regardant un marché depuis la chambre d’hôtel qui le surplombait, tu compris que la foule qui l’arpentait dessinait un triangle qui se gonfle et se dégonfle avec des amplitudes cycliques. Observation vaine ? science inutile ? Ton intelligence ne dédaignait pas les sujets gratuits.

Édouard Levé, Suicide, P.O.L..

David Farreny, 20 mai 2024

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