Désir qui aboie dans le noir est la forme multiforme de cet être
Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 437.
Je commence à trouver suspects bon nombre de nos jeunes.
Emil Cioran, « Les limites de la mobilité intérieure », Solitude et destin, Gallimard, p. 241.
La mort est d’un commerce embarrassant, autant le reconnaître d’emblée.
Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., p. 172.
La querelle entre l’arbre et l’eau ne les empêche pas de conspirer ensemble à notre détriment. Celle-ci ne cherche qu’à investir la place qu’on occupe. Elle dénature ce qu’on lui confie, nous transperce du froid qui est le sien et s’applique à nous rendre aussi méconnaissables que les biens qu’on lui arrache. Les bois procèdent au rebours mais tendent au même résultat. Ils ne s’efforcent pas de nous rentrer dedans. Ils cherchent à nous tirer dehors, à épuiser nos forces, à nous priver d’haleine et de vouloir. L’eau enlace, triture, absorbe ; le bois pique et fouaille, repousse, harasse. La résistance innombrable des perches prolonge, en surface, celle, sourde, cachée, des pentes rocheuses. Ils sont un obstacle sur l’obstacle, un comble lorsque, prenant pied sur le sommet, on découvre qu’on n’est pas plus avancé que l’instant d’avant, mais, toujours, la victime des branches, l’otage des fourrés.
Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 34.
Le spectacle des passants me fait douter que la vie n’est qu’urgence, tension permanente de toutes les forces, fatigues, désespoirs. J’aimerais aller d’un pas tranquille par les rues, l’esprit en repos. Mais il y a trop longtemps que j’ai perdu ce droit et presque tous les autres. C’est à la table de travail, à peiner, interminablement, que je trouve une sorte de paix. J’aimerais comprendre un peu ce qui s’est passé avant de couler à pic.
Pierre Bergounioux, « mercredi 20 avril 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 200.
De l’utilisation du mais. Ennio Flaiano rencontre dans la rue, un jour de 1946, le peintre Mino Maccari, sombre et attristé, qui lui confie : Ho pocho idee, ma confuse — “j’ai peu d’idées, mais confuses”.
Gérard Pesson, « mardi 4 octobre 1994 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 158.
D’ailleurs, si l’on était rendu instantanément à soi en vérité, qu’il faille éprouver tout d’un coup la douleur que c’est, on n’y survivrait pas. On serait désintégré, sublimé.
Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 100.
Puis la femme cria à l’adresse des enfants qui se tenaient détournés l’un de l’autre comme devenus ennemis – le gros garçon plutôt triste : « Hé, les enfants, faites la paix ! »
Le gros garçon sourit, délivré, et tous deux, tête baissée, il est vrai, se dirigèrent par des détours, l’un vers l’autre.
Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 75.
Quand un homme rêve seul, c’est un rêve. Quand ils sont plusieurs à rêver le même rêve, c’est un cauchemar.
Philippe Muray, « 26 février 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 257.
Ce qu’on cache c’est le pareil-que-les-autres. On en fait un secret. Un occulte. Pour camoufler le néant. Les visages sont différents, pas les corps.
Philippe Muray, « 7 janvier 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 409.
Car chaque journée est un rêve incohérent qui ne se tient que grâce à la syntaxe.
Éric Chevillard, « mercredi 4 mai 2016 », L’autofictif. 🔗
Si nous comprenions vraiment notre vie, le suicide aurait un prestige tel qu’il nous serait impossible d’y avoir recours.
Jérôme Vallet, « Il se dit que si la porte était fermée, il aurait plus chaud », Georges de la Fuly. 🔗