antennes

À l’endroit de Pina Bausch j’avais les plus acerbes préjugés, et dans l’ensemble ils n’ont pas été déçus. Ô justesse de l’idée préconçue — en général, s’entend, et pour peu qu’on n’ait pas de trop mauvaises antennes !

Renaud Camus, « jeudi 13 juin 1996 », Les nuits de l’âme. Journal 1996, Fayard, p. 128.

David Farreny, 13 avr. 2002
intérieur

Il avait meublé son deux pièces — au prix, inévitablement, de certaines choses essentielles — avec un certain luxe, quoique approximatif. Il apportait un soin tout particulier aux sièges — des fauteuils profonds et moelleux —, aux rideaux et aux tapis. Il assurait avoir ainsi créé un intérieur « qui garantisse la dignité de son ennui ». Dans une pièce de style moderne l’ennui devient inconfort, souffrance physique.

Fernando Pessoa, « Autobiographie sans événements », Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 36.

Guillaume Colnot, 16 mai 2002
jamais

Tu n’as jamais lutté, rappelle-le-toi. Tu ne lutteras jamais.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 362.

David Farreny, 24 mai 2003
aliénés

Être de rien qui, face au rien de ce monde, demeure sensible. Timidement. C’est que, même aliénés, contraints, nos sens et émotions veulent vivre ; quitte à se nourrir de ce qui les appauvrit.

Jean-Philippe Domecq, Artistes sans art ?, 10/18, p. 262.

David Farreny, 26 déc. 2006
consumais

J’entendais contre les vitres, derrière le rideau, descendre la pluie mêlée de neige. Je me consumais dans une chambre d’hôtel comme un miracle dont personne n’est témoin.

Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 19.

David Farreny, 3 mars 2008
tenait

Le feu que cette vision fit circuler dans mes veines aurait dû m’arracher un cri. Rien ne pouvait égaler la mise à nu de ce visage où soudain avaient bondi comme ses autres lèvres, les fraises de ses seins. Son regard glorieux était planté dans le mien, je le saisissais et elle rougissait interminablement. L’arrogance et la honte se la disputaient, comme un morceau de viande deux chiens de même force ; et comme ce morceau de viande, elle tenait. Les enfants étaient sur nous : allait-elle relever là ses jupes et me montrer le reste, devant eux ? Elle en avait l’ivresse.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
rêves

Je bois une gorgée et les regarde s’affairer à leurs tâches infimes : rouler une cigarette, porter une cannette à leur bouche, dire quelque chose à un chien.

Une des femelles parle d’ouvrir une boutique de tatouages, une boutique « légale » : rêves minuscules, pathétiques. Pourquoi pas une boutique de souvenirs punks du temps où ils étaient zombies, pourquoi pas une épicerie de croquettes pour chiens bio ? Ils ont envie de sauver le monde : alors qu’ils disparaissent, qu’ils prennent leurs responsabilités ! La secte écologiste se demande quel monde on va laisser à nos enfants ? Mais moi je vois leur progéniture et me demande quels enfants on va laisser au monde.

François Beaune, Un ange noir, Verticales, p. 219.

David Farreny, 23 août 2011
parfaitement

Je fais une balade dans la ville. Les maisons sont rouges et blanches et grises avec de beaux heurtoirs aux portes, les rues pavées larges et désertes montent et descendent, tournent très raide, il y a pleine lune dans un ciel sans nuages et les échos sont parfaitement au point ; c’est encore bien plus féérique qu’on ne peut l’imaginer. Le port est gardé par un chat noir et blanc très gentil qui s’étire sous le clair de lune. Les bateaux ont des noms charmants qu’on ne comprend pas. On ne s’étonnerait pas de trouver par terre quelque chose comme un jouet neuf ou un violon. Je me sens tout à fait chez moi. Au retour le chat m’accompagne jusqu’à la porte, me fait une espèce de signe et retourne vers les bateaux.

Je n’ai jamais vu tant de choses s’arranger aussi bien à la fois.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 48.

Cécile Carret, 18 juin 2012
lois

Le sapin se replante de lui-même, regagne après quelque temps sur les collines abandonnées. Le cycle est le suivant : le genêt s’installe en premier, puis dans la terre remuée, ouverte par ses racines, s’installe la graine du mélèze qui pousse sans ombre, et même en terrain sec. Lorsque le mélèze atteint 80 centimètres, la graine du sapin, ou de l’épicéa, s’installe dans son ombre, pousse – sa croissance est beaucoup plus rapide que celle du mélèze –, tue le mélèze qui avait déjà tué le genêt, et grandit. Sélection naturelle parmi les sapins, les mauvais sujets sont éliminés, les bons se développent – la fréquentation des forêts rend très sage. Certaines lois naturelles s’y expriment à un tel degré d’évidence qu’il est impossible de ruser avec les résultats.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 62.

Cécile Carret, 18 juin 2012
équitable

— En combien de temps terminez-vous un cercueil ?

Sur un ton professionnel :

— Le modèle en sapin est cloué en quatre heures. Quelle rapidité pour un appartement éternel !

— Et un berceau, un berceau à bascule ?

— En un temps identique, à peu près. C’est équitable.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 68.

Cécile Carret, 12 juin 2013

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