férocité

Sans une bonne dose de férocité, on ne saurait conduire une pensée jusqu’au bout.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 134.

David Farreny, 13 oct. 2006
avance

Le monde a pris une telle avance sur moi que j’en suis réduit à le regarder se perdre, là-bas, dans la distance, du côté du présent.

Pierre Bergounioux, « mardi 10 octobre 1995 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 627.

David Farreny, 12 déc. 2007
Américains

L’ethnographie non plus ne nous aide pas : voyez le peuple le plus mélangé du monde, les Américains ; c’est pourtant celui dont l’identité raciale saute le plus aux yeux ; en cent ans d’histoire, les États-Unis ont produit une race aussi reconnaissable que les peuples les mieux enfermés géographiquement. La morphologie américaine, issue de tant d’hérédités différentes, est si pure, qu’elle résiste à tous les travestis ; leur cinéma a beau nous montrer les soldats de Pilate, les compagnons de Jeanne d’Arc ou les courtisans de Marie-Antoinette, c’est toujours la tête de Truman ou celle du détective de service que vous repérez sous le casque romain, la galette médiévale ou la perruque Louis XVI. D’où le grand effet d’hilarité de leurs reconstitutions historiques.

Roland Barthes, « Visages et figures », Œuvres complètes (1), Seuil, pp. 268-269.

David Farreny, 3 mars 2008
énigme

Je reprends une phrase de ta dernière lettre : il y a une grande énigme dans la nature. La vie dans l’abstrait est déjà une énigme ; la réalité en fait une énigme au cœur d’une autre énigme. Qui sommes-nous pour prétendre la résoudre ?

Vincent van Gogh, « La Haye, 1882 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 240.

David Farreny, 21 juin 2009
instable

À mesure que mon esprit se développait, il prenait le tour d’une paresse rêveuse, instable, changeant souvent de prétexte, le tour d’une curiosité dévorante et dévorée. J’étais entré dans un monde de pressentiments, de tendances qui se détruisaient par suite des soubresauts brusques, des hauts et bas de la grâce. J’en tirais le sentiment angoissé d’être la proie d’une fatalité obscure. Je me rendis compte d’un seul coup des difficultés dans lesquelles mon caractère m’engageait à tout jamais avec la société : mon ancienne solitude, le plus souvent douce et mélancolique, s’était tournée en originalité involontaire et assez agressive, en excentricité que je tâchais de restreindre, mais qui se décelait. Les hommes commençaient à m’avoir à l’œil.

Pierre Drieu La Rochelle, « Récit secret », Récit secret. Journal 1944-1945. Exorde, Gallimard, p. 22.

David Farreny, 5 juil. 2009
blatéra

Un cyclone atypique.

C’était difficile à expliquer sans utiliser de termes.

Un cyclone, disons.

Ce qu’on avait pu observer, c’était des sortes de prémices.

À côté, le cyclone aurait une puissance, comment donner un ordre d’idée ?

Olaf le savait, on n’était pas dans une zone à cyclone. Bien. Mais là.

Bref, un cyclone.

Maintenant, dans combien de jours ? Combien de semaines ?

Un cyclone se déplace à la vitesse de.

Le plus souvent, du moins, parce que celui-ci.

La météo sur les dents, suivre ça sur les écrans, calculer la trajectoire.

Ne rien dire tant qu’on n’est pas sûr. Rien n’est prévu pour les cyclones sous nos latitudes.

Il se leva, tourna dans le peu d’espace libre, mains dans les poches, sourire. Il va falloir arrimer, prévint-il. Tout arrimer, nous avons vécu trop longtemps dans l’idée que l’air était calme. L’air n’est pas calme. Nous autres, météorologues, nous avons cette connaissance du désordre de l’air. Les nuages sont loin, n’est-ce pas, les nuages ne sont pas là, le soleil non plus, la lune non plus. Et pourtant, quelquefois.

Il sourit avec admiration.

Quelquefois, cyclone.

Il attrapa un éléphanteau luisant. J’ai déjà vu un ou deux cyclones, dans ma vie, à l’époque où je voyageais. Mon père aussi voyageait beaucoup. Ce petit objet vient de là-bas, et cet autre, et toute cette collection sur l’étagère. Mes parents nous ont fait beaucoup de cadeaux. Ils rentraient de voyage, ils ouvraient le coffre, ils disaient devinez ce qu’on rapporte. Et hop, hop, les cadeaux. Ça finit par s’entasser.

Il blatéra de rire.

La gueule, hoqueta-t-il, la gueule de mon chef quand je suis entré dans son bureau en disant cyclone. Mon chef est à trois mois de la retraite. J’entre dans le bureau, je sors le schéma, je lui mets ça sous le nez, je dis cyclone. La gueule ! La gueule !

Luc Blanvillain, Olaf chez les Langre, Quespire, p. 96.

Cécile Carret, 27 août 2009
tour

En sortant de voiture, je me suis avancé tout de suite entre les arbres. J’avais emporté avec moi une petite bouteille d’eau de source locale, que je tenais à la main faute d’avoir songé à acheter un sac à bandoulière, voire un sac à dos, et, tout en marchant, je projetais à quelques centimètres de haut ma petite bouteille, en la faisant pivoter en l’air, puis je la rattrapais quand elle avait fait un tour sur elle-même. J’ai modestement jonglé comme ça cinq minutes, après quoi je me suis concentré sur ma promenade.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 39.

Cécile Carret, 27 sept. 2011
or

Pendant qu’ils buvaient, il raconta : « Il y a peu, j’attendais de la visite. Lorsque j’allai ouvrir, je vis immédiatement que le visiteur dégoulinait de pluie de la tête aux pieds. Or, je venais de nettoyer tout l’appartement ! Pendant que je l’invitais à entrer et lui serrais la main, je remarquai que j’étais moi debout sur l’essuie-pieds en train de me nettoyer les souliers avec la plus grande énergie comme si c’était moi le visiteur mouillé. »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 77.

Cécile Carret, 30 juin 2013
oxygène

Peut-être était-ce l’air vivifiant de l’Ermitage aux buissons blancs, qui donnait à notre pensée une direction nouvelle, de même que la flamme dans l’oxygène brûle plus haute et plus claire.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 31.

Cécile Carret, 27 août 2013
sel

Ce sont les théoriciens de la « valeur » et autre « fétichisme » de la marchandise qui ont fini par faire accroire aux esprits influençables la dimension mystique et aliénante de ce bien matériel — et, par là, renforcé le sentiment chrétien que, pour une âme, avoir revient à pécher contre son être. S’épuisant à fournir la preuve de l’inexistence de Dieu, le libre penseur prouve qu’il est tout sauf un esprit libre, de même, à vouloir déceler dans la marchandise je ne sais quelle trace de substance métaphysique diabolique, le libertaire s’en fait le théologien. Il ne comprend pas que le drame des humains d’aujourd’hui n’est pas de se sentir étrangers à eux-mêmes, perdus au milieu des marchandises, mais, au contraire, de ne pas pouvoir réellement s’oublier dans ces objets faits par eux et pour eux, à leur image et conformes à leurs désirs. Il ne comprend pas, surtout, que s’ils s’inventent des besoins c’est pour entretenir leur insatisfaction, le sel même de leur vie.

Frédéric Schiffter, « 36 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

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