encouragement

Ce que je veux dire, c’est… enfin… gardez-vous d’ignorer que nous ne sommes que des créatures issues de la poussière. Oui, c’est peu comme encouragement, il faut bien se mettre ça dans la tête. Mais cela dit et compte tenu somme toute d’un mauvais départ, les choses pourraient être pires. Aussi je suis persuadé en ce qui me concerne que même dans une situation aussi pourrie, nous saurons nous en tirer. Vous me saisissez ?

Philip K. Dick, Le Dieu venu du Centaure, Omnibus, p. 341.

Guillaume Colnot, 24 avr. 2002
écartés

Il me suffit d’écrire, comme on jette un mot dans une bouteille, sur l’océan des âges, comme on trace des lettres sur le sable, sans y penser, parce qu’on a trouvé sur la plage un bâton ou un caillou, comme on creuse des noms et des dates sur des tombeaux, en attendant la mousse ou l’armaguedon. C’est bien. Personne ne vous entend, ne vous lit, ne vous répond, sauf deux ou trois promeneurs volontairement égarés, parce qu’ils avaient comme vous le goût des chemins et des phrases écartés. Il n’en faut pas plus ; surtout si l’un ou l’autre de ceux-là, un jour, dit à quelqu’un avoir rencontré une inscription curieuse, au cours de ses pérégrinations, une page qui l’a intrigué, un message d’un ton particulier. Ainsi nous serons inscrits dans le grand réseau des signes et des questions, même si nous n’y sommes qu’un accent de travers, des guillemets qui se ferment sans s’être jamais ouverts, une virgule, une apostrophe, des points de suspension…

Renaud Camus, Le château de Seix. Journal 1992, P.O.L., p. 259.

Élisabeth Mazeron, 19 nov. 2003
mobiles

Il y aura un plaisir supplémentaire à triompher et à s’enivrer de ce dont la plupart s’ennuient. Pour lire les Classiques, tous les mobiles sont bons, car ils ne trompent, n’abusent, ni ne déçoivent ; on peut donc déjà recommander de les lire par vanité.

Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 57.

David Farreny, 11 sept. 2004
tête

Le corps se transforme en passant une frontière, on le sait aussi, le regard change de focale et d’objectif, la densité de l’air s’altère et les parfums, les bruits se découpent singulièrement, jusqu’au soleil lui-même qui a une autre tête.

Jean Echenoz, Je m’en vais, Minuit, p. 207.

David Farreny, 12 mars 2008
élastique

riant du guépard si véloce que son train arrière a du mal à le suivre et que son flanc élastique s’étire tant que, lorsqu’il s’arrête enfin, le corps distendu du félin mesure la longueur de sa course, puis son arrière-train l’assomme

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 21.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
pompé

De ma chambre qui donne sur la cour, j’entends le bal public qui de tangos en fanfares va lentement aller jusqu’au matin. Il est bien vrai que Paris a pompé la France entière, tout ce qui se crée en province est condamné à être démodé avant même de naître, sauf, me semble-t-il, dans le Midi.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 31.

Cécile Carret, 17 juin 2012
respect

Ce respect pour des poètes que l’on ne comprend pas et que, malgré tout, l’on veut atteindre, est la source de nos méchantes littératures.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 113.

David Farreny, 23 oct. 2014
ex

Ils disent, elles disent, mon ex. Ex-femme, ex-mari, ex-maîtresse… Expression sans s. Sans sexe. L’Ex est ce qui reste quand le sexe est tombé et quand il n’en reste que le mon. Raccourci. Il (ou elle) est castré de son s. Et au fond tout conjoint au bout de quelques mois.

Philippe Muray, « 23 mars 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 438.

David Farreny, 23 août 2015
lire

On vous reproche de lire trop, les femmes en particulier. On ne vous reproche jamais, si vous êtes par exemple danseur, de trop vous entraîner (douze heures par jour). La lecture doit être une occupation furtive, secondaire, quelques pages le soir. Sinon c’est de l’arrogance. Tout le monde peut (croit qu’il peut) lire. Donc ceux qui lisent plus que la moyenne insultent la majorité qui ne lit que dans les ultimes titubations préparatoires au sommeil. Le reproche de lire trop est une plainte de l’égalitarisme. Un cri de ressentiment de la créature indifférenciée blessée.

Philippe Muray, « 10 avril 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, pp. 443-444.

David Farreny, 23 août 2015
impossibilité

Jules Boissé est mort d’une péritonite en huit jours, comme par surprise. Je fus appelé bien tard, la veille ; mais il avait toute sa connaissance encore, avec toute son intelligence occupée de sa mort. Il n’était pas très triste de quitter la vie ; on le voyait à son ironie. Nous causâmes doucement cette nuit-là, une nuit de chambre d’hôtel navrante d’abandon et de détresse. Les bruits du boulevard montaient et nous envoyaient des chants d’étudiants en goguette, et cela le tirait de son repos, et il me disait en souriant : « Je ne les envie pas… »

Toute cette nuit-là, il me parut inquiet du mobile de ma présence auprès de lui ; quoiqu’il fût tendre, il ne voulut croire qu’à ma curiosité ! « Tu viens me voir mourir, me dit-il quand il me vit paraître, cela n’est guère intéressant. Tu vois, j’ai toute ma conscience analytique (ce sont ses propres termes) et je suis la marche de la décomposition ; j’en ai pour six heures encore, car les molécules inconscientes de mon être sont en travail. Ce hoquet, que tu entends, c’est malgré moi ; je ne souffre pas, grâce à des injections de morphine qu’on m’a faites, c’est comme un sommeil. Je meurs usé, peut-être d’une erreur, peut-être d’une impossibilité sociale. »

Odilon Redon, « août 1885 ou 1886 », À soi-même, José Corti, p. 89.

David Farreny, 23 fév. 2024
suffisamment

Deux heures passées chez le dentiste et sitôt après, heureux toute la journée, la sensation d’avoir fait quelque chose d’utile, de m’être suffisamment amélioré pour aujourd’hui.

Iñaki Uriarte, Bâiller devant Dieu, Séguier, p. 67.

David Farreny, 28 fév. 2024

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