languide

La vie n’est pas une chose à dire, elle est à faire, à aimer, à agir, à subir, à mordre ! Mais la dire… seul un esprit déficient, de complexion languide, se complaît en telle ineptie.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 112.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
imbécillité

J’étais là, j’étais debout, c’était tout ce que je pouvais faire. J’avais cessé de comprendre. Ma curiosité intellectuelle, qui était à peu près ma seule fierté, faisait faillite ; je renonçais à l’analyse, aux hypothèses, à la méthode. Je ne gardais pour moi que ma stupeur et mon angoisse — ou plutôt c’était elles, en vérité, qui me gardaient, comme je m’approchais de moi-même, enfin, retrouvant mon imbécillité fondamentale et adhérant à elle, faisant corps avec elle dans ma toute-solitude et m’en tenant là.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 62.

Élisabeth Mazeron, 16 mars 2010
cela

Je me tus. Une sauterelle venait de bondir sur une de mes jambes. Les épreuves avaient métamorphosé mon corps. Les maladies nerveuses provoquaient une multiplication de lambeaux de peau parasites. Partout grossissaient sur moi de vastes écailles ligneuses et des excroissances. La sauterelle accrochait à cela ses pattes.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 94.

Cécile Carret, 10 sept. 2010
oisiveté

Mais le stade est nommé dans l’Écriture, direz-vous ? D’accord ; mais avouez aussi avec moi qu’il est indigne de vous de regarder ce qui se passe dans le stade, les coups de pied, les coups de poing, les soufflets et les mille insolences qui dégradent la majesté de l’homme, image de Dieu. Vous ne parviendrez jamais à approuver ces courses insensées, ces efforts pour lancer le disque, et ces sauts non moins extravagants ; jamais vous ne louerez cette vigueur inutile ou fatale, encore moins cette science qui travaille à nous donner un corps nouveau, comme pour réformer l’œuvre de Dieu. Non, non, vous haïrez ces hommes que l’on n’engraisse que pour amuser l’oisiveté des Grecs.

Tertullien, Contre les spectacles, Vivès.

David Farreny, 28 mars 2011
mauvaise

Chez les hommes, il y a trop peu d’enfance, de créativité, d’authenticité, d’absurdité même ; par contre il y a beaucoup trop de masculinité, de maturité : ils sont plus blets que mûrs. Ils ont l’haleine chargée, ils ont trop bu, trop fumé, c’est l’éternité mauvaise, la soirée a perdu son sens, ça fait longtemps qu’ils auraient dû rentrer chez eux ; mais les hommes restent à table, torse nu, et ils mangent, froide, une patte de poule, on dirait une main humaine : telle est souvent l’image de notre convivialité.

Maxime Ossipov, Ma province, Verdier, p. 38.

David Farreny, 2 juin 2011
attention

Il résiste. Regarde ailleurs.

Par la fenêtre.

Elle aussi.

Il voit s’en aller ce qu’elle voit venir.

Elle voit commencer ce qu’il voit finir.

Ça ne l’avance guère.

Il sent qu’il commence à penser. Il faut faire quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas. Si. Regarder à droite, mais attention, en prenant le soin de bien fermer les yeux quand tu passeras devant elle.

Il essaie. Tout se passe bien. Il est passé. Il regarde à droite.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 55.

Cécile Carret, 4 mars 2012
phrase

Aimer la littérature, c’est être persuadé qu’il y a toujours une phrase écrite qui nous re-donnera le goût de vivre, si souvent en défaut à écouter les hommes. Soi-même, entre autres.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 50.

David Farreny, 24 mars 2012
pointe

À dix-huit, dix-neuf ans, l’espace d’une seconde, Musil aperçoit sa mère nue. Ça lui reste. Il nous reste ainsi des fentes d’existence, longues à mourir, à vivre, c’est la même chose, que nous portons, dont nous portons le négatif en nous, sans le savoir, puis, grâce à une répétition — mais sans aucun rapport avec la vision initiale, sinon de rappel —, nous voilà comme en écho direct avec ce qu’on ne savait pas avoir vu à ce point.

Georges Perros, « Notes de résistance », Papiers collés (3), Gallimard, p. 174.

David Farreny, 27 mars 2012
prise

Prise : chêne de 4 000 à 8 000 francs le stère. Le plus coûteux, celui qui se prête au déroulage (une bille sans nœuds qu’on fait tourner et qu’on pèle comme une patate, contenant des mètres et des mètres de placage).

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 61.

Cécile Carret, 18 juin 2012
fuir

Après toutes ces années passées en tête-à-tête avec le Moi, on ne peut plus le voir en peinture. On aimerait le fuir aussi loin que possible. Peut-être dans les Vosges ? Peut-être à Saint-Dié ? Ça doit être pas mal, Saint-Dié ? Ou peut-être Remiremont ?

Olivier Pivert, « La possibilité des Vosges », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 4 mai 2024
métaphysique

De quelle antériorité l’idée d’essence, de nature ou d’être rend-elle compte ? Mais, aussi, de quelle finalité ? De quelle nécessité ? Comme les gens de l’art se sont disputés et disputent toujours d’abondance là-dessus, tout me laisse à penser que cette idée ne résulte que d’une sorte de cristallisation ontologique : lorsque, à titre de mortel, un philosophe fait la vulnérante et humiliante expérience d’une vie aléatoire ; lorsqu’il se sent pour cela même peu enclin à marivauder avec une fortune si volage, il en vient à désirer une autre réalité dont il idéalise les attributs. Ainsi surgit en son imagination le mirage de l’« essence », de la « nature » ou de l’« être », impeccable arrière-monde, oasis du Sens, havre où son esprit se hâte d’accoster afin d’y apaiser les haut-le-cœur que lui cause le bateau ivre du hasard. J’appelle ce mirage une métaphysique et, ce genre de philosophe halluciné, un métaphysicien.

Le métaphysicien aimerait que son chimérique paysage se réalisât dans un immuable présent, ou qu’un temps coutumier, en en renouvelant les formes, en fît un abri sûr. Mais hélas pour lui, le temps reste le maître. Primesautier, imprévisible, capricieux, le temps ne déplace pas seulement les lignes, il viole aussi la virginité des essences, tourne le sens en dérision, bafoue la pérennité de l’être. Tout à son jeu de tric-trac, cet enfant terrible excelle à ébranler les fragiles constructions du hasard, son double, qui s’en divertit.

Frédéric Schiffter, « 7-8 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

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