Je me souviens qu’à l’âge de dix-sept ans, alors que j’exprimais des opinions contradictoires et perturbées sur le monde, une femme d’une cinquantaine d’années rencontrée dans un bar Corail m’avait dit : « Vous verrez, en vieillissant, les choses deviennent très simples. » Comme elle avait raison !
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, pp. 109-110.
Ne plus chier dans les langes n’implique pas du tout Shakespeare, Molière et Paul Claudel.
Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 26.
La veille de la bataille, tandis que Napoléon, de son côté, grignotait une poitrine de mouton arrosée d’un demi-verre de Chambertin, je constatai quant à moi que le distributeur automatique de plats chauds installé dans le hall de l’hôtel Formule 1 était en panne, et que pour obtenir le cassoulet sur lequel j’avais jeté mon dévolu, il me faudrait ressortir et marcher jusqu’à la réception de l’hôtel Etap, laquelle disposait en principe d’un appareil du même type. En fin de compte, je ne dînai pas (même si je savais, par la littérature, que c’est à sa capacité de se restaurer normalement, à la veille d’une bataille ou de son exécution capitale, qu’on reconnaît l’homme de caractère).
Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 105.
Cependant il faut essayer, forçant sa voix vers la gaieté, vers l’attention, la légèreté, la maîtrise de soi, de ne sembler pas trop fou, pas trop absent, pas trop détaché du monde et de tous ceux de ses minuscules coups de théâtre qui n’affectent en rien le seul essentiel qui vaille, et qui fait tout votre petit malheur. Il faut tâcher de répondre aux questions quelles qu’elles soient, et même d’en poser deux ou trois, pour la bonne mesure, en s’efforçant de ne pas oublier d’attendre les réponses. Vos paroles néanmoins sortent tout de travers, vous avez un chat dans la gorge, vos silences même surviennent mal à propos, se chargeant apparemment, sans qu’on les ait priés de rien, de messages qui sont bien les derniers, même, que vous vous seriez soucié d’émettre.
Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., p. 34.
Il arrive qu’avant de plonger dans une eau glacée, on tente de se convaincre que le plaisir résidera tout entier dans ce froid, et qu’ensuite, en nageant, tout à la fois on se réchauffe et sente l’eau glaciale, hostile ; de même, après tant d’effort pour transmuer la misère du bureau en une valeur précieuse, Amerigo en était venu à reconnaître que sa première impression – la froideur rébarbative de la salle – était la bonne.
Italo Calvino, La journée d’un scrutateur, Seuil, p. 21.
Et si ce n’est ce chant, je vous le demande, qui témoignera en faveur de la Mer — la Mer sans stèles ni portiques, sans Alyscamps ni Propylées ; la Mer sans dignitaires de pierre à ses terrasses circulaires, ni rang de bêtes bâtées d’ailes à l’aplomb des chaussées ?
Saint-John Perse, « Amers », Œuvres complètes, Gallimard, p. 264.
Nous avons parfois l’impression que l’âge vient d’ailleurs, qu’il nous est extérieur, que les choses ont changé sans nous demander notre avis et que c’est la raison pour laquelle nous ne les reconnaissons pas.
Marc Augé, Une ethnologie de soi. Le temps sans âge, Seuil, p. 107.
Il y a pourtant tout ce qui piaffe au tréfonds d’une cellule bétonnée connue-inconnue de soi seul.
Jean-Pierre Georges, « Bonheur à suivre », Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 59.