rien

Tout peut arriver dans la vie, et surtout rien.

Michel Houellebecq, Plateforme, Flammarion, p. 216.

David Farreny, 14 avr. 2002
pauvres

Nous attribuons généralement à nos idées sur l’inconnu la couleur de nos conceptions sur le connu : si nous appelons la mort un sommeil, c’est qu’elle ressemble, du dehors, à un sommeil ; si nous appelons la mort une vie nouvelle, c’est qu’elle paraît être une chose différente de la vie. C’est grâce à ces petits malentendus avec le réel que nous construisons nos croyances, nos espoirs — et nous vivons de croûtes de pain baptisées gâteaux, comme font les enfants pauvres qui jouent à être heureux.

Fernando Pessoa, « Autobiographie sans événements », Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 96.

Guillaume Colnot, 13 juin 2002
simples

Je te le dis, mon ami, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air. L’esprit humain est un instrument peu raffiné, et bien souvent nous ne sommes pas plus capables de veiller sur notre sort que le moindre ver de terre.

Quoi que j’aie pu être d’autre, je ne me suis jamais laissé devenir ce ver. J’ai sauté, j’ai galopé, je me suis envolé, et quel que soit le nombre de fois où je me suis écrasé au sol, je me suis toujours ramassé pour essayer encore. Même en ce moment où les ténèbres m’enserrent, mon cerveau tient bon et refuse de jeter l’éponge.

Paul Auster, Tombouctou.

Élisabeth Mazeron, 20 sept. 2002
cavités

Il se trouve dans mon corps des cavités, une à l’épaule, une au-dessus de l’aine, qui bourgeonnent et se referment sans me causer de trouble ; je n’ai plus besoin aujourd’hui de tailler les barbes qui bordent chacun de ces orifices, sans doute parce que je n’ai plus l’occasion d’exposer ma nudité. Cavités profondes comme le majeur, le mien pour ne pas le nommer, elles ont leurs meilleures heures quand je vais à la mer ; ô combien cet élément leur est familier ! Je les sens s’ouvrir et se rincer quand je me baigne, au travers de la combinaison de plongée dont je suis revêtu. Si d’aventure je descends et atteins les premiers hauts-fonds, elles demandent à être appuyées sur les coraux, ainsi qu’à tous les angles que la roche sous-marine a édifiés. Un jour viendra où, abouchées à des branchages coralliens, des mâts de carbone, elles ne voudront plus me laisser reprendre ma respiration.

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 129.

David Farreny, 15 nov. 2002
crétin

Il ne se dit plus que des choses qu’on peut dire en un sens… Moi-même, j’en commets énormément. Si j’écris par exemple, et je ne m’en prive pas, que l’ennemi numéro un, c’est le sympa, je suis évidemment vautré dans l’en-un-sens. C’est au point que je ne vois plus très bien ce qui pourrait se dire en tous les sens — sinon qu’il y a de la mort : encore ne suis-je pas tout à fait sûr du partitif.

[…] « Le véritable ennemi, c’est le sens » : sans doute, en un sens ; mais c’est en un sens minoritaire. Le bathmologue épuisé revient au sens, dont il sait bien qu’il n’est qu’une convention. Mais c’est une convention indispensable et bienfaisante, dont il se pourrait bien qu’elle fût seule capable, paradoxalement, de rendre, ou de garder, à la vie sa saveur, aux objets leur poids, aux images leur relief, aux sentiments leur dignité et aux opinons leur vertu.

Un crétin est un crétin est un crétin est un crétin…

Renaud Camus, Le château de Seix. Journal 1992, P.O.L., p. 190-191.

Élisabeth Mazeron, 13 nov. 2003
raréfié

Je n’avance que d’une page et demie parce que j’évolue dans l’abstraction, l’univers raréfié des catégories.

Pierre Bergounioux, « dimanche 12 août 1990 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 917.

David Farreny, 20 avr. 2006
programme

C’est déjà un tel programme une femme aimée dans une vie d’homme.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 169.

David Farreny, 11 mars 2008
transition

[…] la musique s’enflant à présent comme nous pénétrions dans une pièce où une femme et deux autres hommes dansaient, dont l’un tenait en main un verre vide et qui nous ayant aperçus cessèrent de danser et s’approchèrent de nous, sauf l’homme au verre vide qui tout en prenant notre direction s’efforçait de trouver une transition douce entre la danse et le déplacement normal, et qui parvint à notre hauteur légèrement déhanché encore, puis se stabilisa, bonsoir, dit-il, bonsoir, dîmes-nous l’un après l’autre en énonçant nos prénoms, parfois suivis de nos patronymes, tandis que l’homme au verre vide repartait en se déhanchant modérément […].

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 104.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
désir

Le désir, un bien grand mot, c’est l’envie qui manque.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 24.

David Farreny, 27 juin 2010
force

J’avais déjà trouvé en moi la force de fixer froidement le malheur, d’étouffer mes émotions, je commençais alors à comprendre la beauté qu’il y a à détruire.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 21.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
air

Il tenait en main un plat d’œufs mimosa qu’il a posé sur la table en me saluant. Je l’ai trouvé plus petit que d’habitude avec son plat. Comme il ne disait rien de spécial, et qu’il avait l’air de considérer que je faisais partie des meubles, j’ai dit que j’aimais bien les œufs mimosa. Attends, a-t-il dit, tu vas voir le lapin, et il est retourné vers la cuisine. J’ai cru un instant qu’il allait m’apporter le lapin pour me le montrer, mais ce n’était évidemment pas ça. Je suis resté encore un moment dans la salle à manger, les mains dans les poches, de l’air du promeneur tranquille, mais qui se trouve face à une bifurcation.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 138.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
caducité

Ç’aura été un perpétuel sujet d’étonnement et de rumination que la caducité de mes desseins les plus fermes, la ruine de projets longuement mûris.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, p. 34.

David Farreny, 7 juin 2013

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