parler

La morgue ouvrait aussi sur cette cour : parfois sous un drap une forme couchée passait, dont les brancardiers plaisantaient par la fenêtre ouverte avec les malades ; je n’étais pas sous ce drap, mes yeux voyaient l’été, j’avais loisir de parler des morts.

Pierre Michon, Vies minuscules, Gallimard, p. 148.

David Farreny, 22 mars 2002
lire

Lire est de même se retirer du monde, peu ou prou, s’approcher de la fontaine, traiter de pair à compagnon avec la nuit. « Je n’y suis pas », dit l’homme qui lit : je suis sorti de moi par l’œil, le souffle et la virgule, ce corps n’est celui de personne, respectez-le comme tel, vous avez raison d’avoir peur. Toute phrase est une clef des champs. Mais les champs sont à leur tour autant d’incipit, les bois des guillemets, dans cette ferme abandonnée nous aurions bien tort de ne pas reconnaître une victime, encore une, de la concordance implacable des temps. Je parle d’une source : c’est une source qui parle.

Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., p. 23.

Élisabeth Mazeron, 22 nov. 2003
éminentes

Alors que le silence, quand il est fait des mots amers qu’on a tus, les larmes ravalées, l’absence pratiquée dès le temps qu’on est présent au monde parce qu’on y fut contraint et forcé, c’est le contraire. On en tient compte. On n’agit pas comme on ferait si cela n’avait pas été, n’était plus. C’est pour ça que l’air, la lumière ne sont pas, comme on croit, inhabités, vides mais, parfois, par endroits, vibrants, vivants, chargés de présences éminentes.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 65.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
entrave

La souffrance n’ajoute rien à la connaissance, pire, elle y soustrait et l’entame, elle ralentit la lucidité et entrave l’intelligence.

Michel Onfray, Esthétique du pôle Nord, Grasset, p. 66.

Élisabeth Mazeron, 1er mai 2007
élytres

Je me suis mis au travail, une flaque de sueur sous chaque coude, en sachant bien que je trichais, que j’avais peur, que je m’attachais au mât comme UIysse. Il s’agit d’autre chose ici. La nuit regorgeait de lenteur d’un silence interrompu seulement par le bref galop des chèvres qui tondent les bastions, ou le bourdonnement de je ne sais quelle beste dans ma toiture. Pour me donner du cœur et garnir un peu mon carquois, j’ai fait le compte des chambres où je suis passé depuis mon départ. C’est la cent dix-septième. La prochaine risque d’attendre longtemps son tour. Il faut bien s’arrêter de temps en temps pour apprendre à faire sa musique, faire un peu chanter ses élytres, non ?

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 33.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
loin

Je vis soudain s’agiter très loin quelques petits points qui sortaient du couvert et s’engageaient sur le versant d’un pré ; se rapprochant, ils me laissèrent deviner la tache rouge d’un bonnet qui dansait doucement au hasard du terrain ; et autour de celui-ci d’autres bonnets, des capuchons, d’autres jambes venaient hardiment, quatre ou cinq bonhommes résolus mais étriqués, comme de vieux petits nains. Ces nains portaient quelque chose. […]

C’étaient des enfants de l’école, de ceux qui habitaient la commune des Martres, ainsi que je le reconnus alors qu’ils étaient encore loin. Ce que deux d’entre eux portaient sur un bâton pesant à leur épaule me surprit fort, et d’abord j’en doutai ; mais non, c’était bien un renard, suspendu par les pattes à la mode ancienne ou sauvage, et on ne savait pas pourquoi par ce moyen transporté à travers le froid.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
amicale

La mer était jaunâtre, surtout près de la côte ; à l’horizon, un rai de lumière, et au-dessus, d’énormes nuages gris dont on pouvait voir la pluie s’abattre en lignes obliques. Le vent chassait la poussière du chemin sur les roches au bord de la mer, et il agitait les aubépiniers en fleurs et les giroflées qui poussent sur les rochers.

À droite, des champs de jeune blé ; dans le lointain, la ville avec ses clochers, ses moulins, ses toits d’ardoises, ses maisons en style gothique, puis plus bas, son port emprisonné entre deux digues qui avancent dans la mer. Elle ressemblait aux villes qu’Albert Dürer a gravées à l’eau-forte. J’ai vu la mer dans la nuit du dimanche ; tout était sombre et gris, mais le jour commençait à poindre à l’horizon.

Il était très tôt mais les alouettes chantaient déjà, ainsi que les rossignols dans les jardins en bordure de la côte. Dans le lointain, les feux d’un phare, le garde-côte, etc.

La même nuit, j’ai contemplé par la fenêtre de ma chambre les toits des maisons et les cimes des ormes qui se détachaient, taches sombres, sur le ciel nocturne, où vibrait une seule étoile, qui m’a paru grande, belle et amicale.

Vincent van Gogh, « Ramsgate, 31 mai 1876 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, pp. 45-46.

David Farreny, 15 juin 2009
obstacle

Aller à la fenêtre. (Ne pas presser le front contre la vitre ; ça se fait à la rigueur dans ces romans de pacotille où l’on s’agite beaucoup ; en vérité le radiateur y fait obstacle, ou aussi la longue et étroite tablette carrelée ; et d’ailleurs la susdite partie de votre anatomie rougit sous la pression et se salit, c’est tout ce qu’on obtient).

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
glissé

Et, Pierre ne voulant ni prendre l’autoroute ni traverser Agen, nous sommes rentrés par des voies intéressantes et bizarres, dont n’apparaissaient clairement dans la nuit que les noms, de sorte qu’il faudra, pour en savoir plus, retourner à Bruch, au château de Saint-Loup, à Montagnac-sur-Auvignon ou à Moncaut, comme bien sûr à tout.

Ma mère a raison : même à cent ans nous ne faisons partout que des premières visites. Vivre, c’est reconnaître le terrain dans la nuit. Et le jour où nous pourrions enfin l’éprouver à loisir et dans la lumière, il a glissé, ou bien c’est nous.

Renaud Camus, « lundi 31 décembre 2007 », Une chance pour le temps. Journal 2007, Fayard, p. 495.

David Farreny, 15 janv. 2010
hameçon

De plus il y a toujours sa haine absolue des bijoux dont le tintement l’agace, la brillance l’aveugle et le coût le consterne. L’horrifient spécialement les boucles d’oreilles, dont l’hameçon planté dans la chair le glace, et plus encore les perles qui, par leur origine huîtrière et leur consistance lactée, lui répugnent sans mélange. Mais les personnes du sexe, n’y entendant rien et rivalisant de parures pour le séduire, jouent ainsi chaque fois un peu plus contre elles-mêmes avant de repartir bredouilles, cachant leur désarroi sous des œillades complices bien qu’éteintes, des rires pailletés mais détimbrés.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 89.

Cécile Carret, 11 oct. 2010
promeneur

Chérie, chérie, comme c’est magnifique que l’été revienne en plein automne, et comme c’est bien, car on pourrait difficilement supporter le changement des saisons si on n’y faisait équilibre intérieurement. Chérie, chérie, mon retour du bureau vaut la peine d’être raconté, d’autant qu’il ne m’arrive rien d’autre qui vaille cette peine. À six heures et quart, je sors d’un bond par la grande porte, je regrette ce quart d’heure gaspillé, je fais un demi-tour à droite et je me dirige vers la place Wenceslas ; puis je rencontre quelqu’un de connaissance qui m’accompagne et me raconte des choses intéressantes, j’arrive chez moi, j’ouvre la porte, ta lettre est là, j’entre en elle comme un promeneur qui, fatigué de marcher à travers champs, pénètre maintenant dans les bois. Certes, je m’égare, mais cela ne m’effraie pas. Puissent tous les jours finir ainsi.

Franz Kafka, « lettre à Hedwig Weiler (octobre 1907) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 603.

David Farreny, 20 avr. 2014
servir

Flamant rose, héron cendré, serait-il donc impossible de se faire servir un échassier à point ?

Éric Chevillard, « vendredi 20 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2016

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