matou

profond comme le fer de bêche et large comme un vicomté de matou

sans limite par le haut seulement où la lune roule et parfois fend

lieu connu inconnu où courir où se lover un continent un trou

Michel Besnier, tiré à part, Folle Avoine, p. 1.

David Farreny, 22 mars 2002
coalescence

[…] un coupe-poils à pile sans fil en mousse absorbante avec sa ventouse, une caisse à outils pour tout casser comme sans les outils, un microfournil à ondes fulgurantes, une console en kit à monter sans peine en cinquante semaines pour te consoler de la vacuité des emplois du temps, un, deux, trois, ho ! hisse ! commande aux Trois Suisses, chasse tes doutes en écrivant à la Redoute, ouvre le courrier personnalisé de monsieur Leclerc qui t’envoie sympa la photo couleur de son rôti d’porc, arbore-toi, réveille-toi le teint, décore-toi le corps avec des machins succincts qui font super bien, existe, montre que tu résistes, sois le vrai groupie de toi le pianiste, le gai guitariste, le batteriste, mais en moins jazz triste, le Francis Lopez de la supérette où t’achètes ton steak en barquettes, ah ! maman, maman, les docteurs, ils m’ont dit, je devrais pas te le dire à toi, pourquoi j’ai des absences côté coalescence avec l’existence, effet de faille, tas de paille de peu de pathie, atonie, bout de chosité sans nervosité, préjudice de sensibilité, ralenti du libidiné, recroquevillé dans le trou de soi, que de dégâts, que de dégâts […]

Christian Prigent, Une phrase pour ma mère, P.O.L..

David Farreny, 24 fév. 2007
macération

Exténuée, au bout de la table, la force demandait réparation, en silence, comme une évidence. Il mangeait sans un mot, telle une mécanique. Je sentais dans ma propre chair, sa fatigue, son épuisement, sa carcasse fourbue. Parfois, me découvrant tétanisé, blessé, j’imaginai pouvoir prendre en charge un peu de sa douleur et de sa peine. C’est à cette époque que j’ai mesuré l’impossible communication entre les chairs. Dans les meilleurs hypothèses, seules les âmes s’effleurent, car le solipsisme est la règle. On n’a jamais supprimé un gramme de souffrance à qui que ce soit en se couvrant de douleur : avec ce mauvais calcul, on ne parvient qu’à la macération, à l’ajout de négatif au négatif.

Michel Onfray, « Le désir d’être un volcan », Esthétique du pôle Nord, Grasset, p. 145.

Élisabeth Mazeron, 1er mai 2007
passerelles

Or la puissance du désir est telle, et les ressources de l’imagination qui la soutiennent sont si considérables que quatre ou cinq mois d’une attente ainsi nourrie étaient aussi riches, aussi pleins de sentiments variés que si celui qui m’occupait l’esprit avait effectivement partagé ma vie pendant cette période. Voilà pourquoi celui qui attend longtemps ne se décourage pas. Sans qu’il soit fou, sans qu’il confonde ses rêves avec la réalité, son obsession leur donne une consistance qui en fait des passerelles solides entre les événements réellement vécus, tandis que bien souvent ce sont ces événements qui, par leur brièveté, ou par la déception qu’ils causent, pourraient n’avoir été que rêvés.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, pp. 68-69.

Élisabeth Mazeron, 12 mars 2009
vrai

       Si le soleil répare

Les ravages du ciel, que la brise ranime

Les airs dolents — et fuyant, dispersée,

L’ombre grave des nues s’en va dans la vallée ;

Si les oiseaux confient au vent leur cœur

Sans défense, que la lumière

Dans les bois entrouverts, par les dernières

Neiges, insuffle à nouveau désir d’amour

Et nouvelle espérance aux animaux troublés —

Aux âmes lasses des humains, dans la douleur

Ensevelies, peut-il renaître

Le bel Âge, que la détresse et la flamme

Noire du vrai consumèrent

Avant le temps ?

Giacomo Leopardi, « Au printemps », Chants, Flammarion, p. 71.

David Farreny, 10 juin 2009
coiffeur

J’ai cessé d’aller chez le coiffeur à l’âge de quatorze ans à cause de l’odeur de la laque, du crissement des doigts de la shampouineuse sur mes cheveux mouillés, et de la douleur de ma nuque sur le bac en forme de U. Je coupe moi-même mes cheveux, ce qui étonne mes amis puisque avec l’expérience, je me rate peu.

Édouard Levé, Portrait, P.O.L., p. 20.

Cécile Carret, 30 mars 2014
affabulations

Parce que nous possédons une faculté de contempler les choses de la nature et les faits qui se produisent ici-bas, nous nous piquons d’en saisir le pourquoi et le pour quoi. En réalité, nous ne saisissons, ou croyons saisir, que ce qui se trouve à portée de notre raison — autant dire bien peu. Celle-ci, en soi, n’est pas en cause. Quand elle examine froidement ses propres capacités, elle en mesure bien les limites. Mais comme elle est d’ordinaire la servante soumise de notre naïf et prétentieux désir de comprendre, elle outrepasse ses faibles forces et, très vite dépassée, elle passe le relais à l’imagination toujours habile, quant à elle, à faire passer ses affabulations pour des vérités.

Frédéric Schiffter, « Le prophète de l'à-quoi-bon (Sur l'Ecclésiaste) », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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