bureau

Songe, Milena, que le bureau n’est pas une institution arbitraire et stupide (il est cela aussi et surabondamment, mais ce n’est pas ici la question ; il relèverait d’ailleurs plutôt du fantastique que du stupide), mais que jusqu’ici, c’est ma vie ; je ne puis m’arracher à lui ; ce ne serait peut-être pas mauvais, mais jusqu’ici, précisément en fait je n’ai pas su le faire, c’est bien ma vie ; je peux me conduire avec lui miteusement, travailler moins que personne (je le fais), bousiller le travail (je le fais), faire quand même l’important (je le fais), accepter comme un dû le traitement le plus charmant qui soit concevable en son sein, mais mentir pour courir soudain en homme libre, moi qui ne suis qu’un employé, à un endroit où ne m’appellerait rien d’autre que le battement normal du cœur, non, je ne peux pas.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 153.

David Farreny, 20 mars 2002
matière

M. Crawley avait apporté ses soins et ses consolations à cette femme délaissée sur son lit de souffrance ; et elle avait quitté le monde, raffermie par ses pieuses exhortations. Depuis bien des années, il était seul à lui témoigner des égards et des attentions. Telle était dès longtemps l’unique consolation de cette âme faible et abandonnée. La matière chez elle avait longtemps survécu à l’esprit.

William Makepeace Thackeray, La foire aux vanités (1), P.O.L., p. 207.

David Farreny, 22 mars 2002
problèmes

Poser de nouveaux problèmes, c’est le meilleur moyen de résoudre les anciens.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 34.

David Farreny, 23 mars 2002
louche

Les crêtes, les ravins, les fronces de la zone métamorphique, l’eau glacée qui sourd, les étangs de plomb, les tourbières, la clarté louche que filtre le taillis, les rampes bossuées dissuadent d’aller.

Pierre Bergounioux, « Sauvagerie », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 16.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
courrier

Au courrier : un magazine mutualiste.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 35.

David Farreny, 19 nov. 2006
tribunal

Mais j’ai peu de preuves à présenter au tribunal qui siège en moi et me somme, le soir, d’expliquer, si je peux, ce que j’ai fait de ma journée.

Pierre Bergounioux, « mercredi 31 août 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 241.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
pris

Nous sommes pris, coincés entre deux abîmes : finir et ne pas finir.

Paul Morand, « 10 juillet 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 413.

David Farreny, 25 mai 2009
défaut

Toute allégresse a son défaut

       Et se brise elle-même.

Si vous voulez que je vous aime,

       Ne riez pas trop haut.

Paul-Jean Toulet, Les contrerimes, Gallimard.

David Farreny, 23 août 2011
donnée

La plupart du temps, celui qu’on cherche habite à côté. Ce fait ne saurait s’expliquer sans plus de façons, il faut d’abord l’accepter comme une donnée expérimentale. Il a des racines si profondes qu’on ne peut pas y mettre obstacle quand bien même on se donnerait pour tâche de le faire. Cela vient de ce qu’on ne sait rien de ce voisin cherché. On ne sait en effet ni qu’on le cherche ni qu’il habite à côté, et dans ce cas on peut être absolument sûr qu’il habite à côté. Rien n’empêche de connaître comme telle cette donnée de l’expérience générale, la connaître n’est pas le moins du monde gênant, même quand on s’impose de s’en souvenir exprès.

Franz Kafka, « La plupart du temps… », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 526.

David Farreny, 17 déc. 2011
preuves

Il se sent prisonnier sur cette terre, il est à l’étroit, la tristesse, la faiblesse, les maladies, les idées délirantes du prisonnier éclatent chez lui, aucune consolation ne peut le consoler, justement parce que ce n’est que consolation, douce consolation qui fait souffrir la tête en face du fait brutal de la captivité. Mais si on lui demande ce qu’il voudrait vraiment, il ne peut pas répondre, car — c’est là l’une de ses plus fortes preuves — il n’a aucune idée de la liberté.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 493.

David Farreny, 9 nov. 2012
espèce

Faire un enfant pour voir. C’est ça la pulsion de fond, il n’y a pas d’autre raison. Un passage à l’acte qui épuise le sens de cet acte. On veut vérifier une hypothèse, même si on se doute que le résultat sera négatif. Personne ne croit que ça va ajouter quelque chose. Qu’on sera plus heureux, plus unis, plus comblés. Personne ne croit au fond que l’enfant sera meilleur que l’adulte. On liquide à chaque fois une hypothèse.

À hauteur d’individu, il n’y a pas de raison de faire un enfant. À hauteur d’espèce, il y a toutes les raisons. Mais est-ce que je suis l’espèce ? Est-ce que tu es l’espèce ? Est-ce que c’est l’espèce que j’aime en toi ? Ce que j’aime en toi, ce qui m’attire en toi, c’est ce qui t’extrait de l’espèce. Ce qui, comme une grâce, t’en absout. Et voilà qu’un jour tu mets en avant un instinct qui est le contraire de ce qui m’a attiré. Un instinct dont la cause est en dehors de ce que j’ai aimé.

Philippe Muray, « 28 février 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 30.

David Farreny, 28 fév. 2016

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