préoccupant

Certes, la durée de la vie humaine est chez nous bien augmentée mais le ralentissement des réflexes avec l’âge reste préoccupant.

Nos vieillards, nous les prolongeons aisément jusqu’à deux cents, deux cent cinquante ans, mais ils se font presque tous écraser dans la rue à cent trente ou cent quarante.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 514.

David Farreny, 30 juin 2002
rapporte

Nous avons tenu, et la création avec nous, dans la paume tiède, brunie, d’une main dont l’empan n’excédait pas outre mesure le nôtre. Nous avons habité un monde dont les bords, en se relevant, nous épargnaient le vertige des grandes étendues, avec son contre-coup, l’exiguïté sentie de nos embrassements, la tragique finitude de notre condition, son goût douceâtre de néant.

La connaissance vient après, à supposer qu’elle vienne jamais. Elle n’est pas exactement un mal mais elle s’y rapporte. Elle sert à remédier à ce qui, soudain, ne va plus.

Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, pp. 10-11.

David Farreny, 24 nov. 2005
charme

Il tournait toute la journée dans l’hôtel, montait et descendait sans but, tentait d’accoster Charlotte, passait du temps à se cacher de Gilbert et de la mère. Il saluait cérémonieusement les clients qu’il croisait ainsi qu’ils le faisaient eux-mêmes, pour la plupart représentants de commerce. La pluie et le froid le dissuadaient de sortir. Et il répétait avec Charlotte les propos les plus insignifiants, sans déplaisir, s’adaptant au déroulement simple de ses pensées et pressant ici ou là un morceau de sa chair, d’un geste amical. Rien ne remplissait la tranquille existence de Charlotte que les travaux domestiques, la lecture de ses revues, le service fourni au président Alfred, d’ailleurs exigeant et capricieux. Qu’avait-elle besoin d’autre chose ? Indifférente à son aspect, elle s’habillait toujours des mêmes vêtements peu seyants.

Elle charme en moi ce que j’ai de moins bon, songeait Herman, de veule et de paresseux. Les heures s’écoulent privées d’énergie et de réflexion, et tout est égal, les petites infamies ou les bons mouvements. Quel repos, oui, que cette vie-là ! Quel repos que le village !

Marie NDiaye, Un temps de saison, Minuit, pp. 85-86.

David Farreny, 18 déc. 2005
contrecoup

Je reprends la plume et pose bientôt le point final. Quatre mois de travail. Il aurait fallu faire plus long. J’ai repoussé de nombreux possibles, élidé des incidentes, mu par l’inavouable désir d’être quitte de la peine d’écrire. Et comme si ce n’était pas assez de ce remords qui empoisonne la fin que je viens d’atteindre, la paix que j’escomptais, j’ouvre sottement Lumière d’août, pour voir, comme ça, de combien d’années-lumière je suis éloigné de la perfection à laquelle Faulkner s’est élevé il y a déjà un demi-siècle. Le contrecoup me laisse en morceaux.

Pierre Bergounioux, « jeudi 25 septembre 1986 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 534.

David Farreny, 20 avr. 2006
esprit

Et comme la vie et le travail se trouvaient dissociés, on a tiré au cordeau des voies rapides remparées de glissières en acier zingué, connectées au moyen d’échangeurs et de rocades où il vaut mieux éviter de se tromper parce qu’il n’est plus question de faire demi-tour et de recommencer. Le droit à l’hésitation, le goût ténu de liberté ont disparu de la circulation. Elle a pris la fixité d’un destin où il me semble reconnaître, lorsque je me hasarde sur les autoroutes de ceinture, l’esprit désastreux du présent.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, pp. 33-34.

David Farreny, 17 oct. 2006
paresseuse

Ou bien on allait à la pêche, pour manger des haricots verts en salade dans de la vaisselle en aluminium, sous ces arbres encore plus beaux de s’appeler des charmes. Palpitante d’éclats, de reflets, d’obscurités, hâtive ou paresseuse, la Meurthe remuait doucement les feuillages comme une femme qui se déshabille. On voulait tout saisir. Les ablettes rejetées dans l’herbe y luisaient comme des clés vivantes, et un éboulement insensible et tendre nous emportait.

Jacques Réda, L’herbe des talus, Gallimard.

Cécile Carret, 20 mai 2007
habitude

Et ainsi l’on oscille entre des états d’âme ou des réseaux de conviction qui sont autant de langages possibles, de citations, d’emprunts, d’essais de vocabulaire et de syntaxe. Quand je suis dans un langage déterminé, celui d’en face me paraît plus séduisant, plus vrai, c’est cela, plus lié à la réalité, de plus d’adhérence au réel : comme si les deux n’étaient pas que langages (sans prise sur la réalité vraie) ; ou bien comme si — mais cela revient au même — le réel n’était pas une invention du langage, une habitude de langage.

Renaud Camus, « jeudi 6 mai 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 244.

David Farreny, 28 sept. 2007
honte

Dans cette maison régnait une agitation continuelle, des portes claquaient toujours quelque part, des couvercles ou des ustensiles tombaient dans la cuisine, ailleurs on traînait un meuble, ou bien ma mère appelait d’une extrémité de la maison où on ne la soupçonnait pas l’instant d’avant, et les gens qui passaient dans l’allée se demandaient d’où ça sortait. C’était une de ces occasions où j’avais honte d’elle et honte d’en avoir honte.

Dans tout ce qu’elle faisait, c’était comme si elle se devançait elle-même, comme si sans cesse une image à laquelle elle voulait absolument satisfaire fuyait devant elle. Elle pédalait trop vite pour arriver à la gare et s’affalait horizontalement tout à travers la place et c’était, croyais-je, moi qu’on regardait. Elle portait trop lourd et ses filets craquaient en plein village et voilà tous les habitants, dos courbé, en train de ramasser des pommes. Il y avait toujours quelqu’un pour voir ou pour entendre. Tout le village savait ce qui se passait chez nous, qu’il fallait garder les fenêtres ouvertes, qu’il fallait toujours respirer à fond et que les jardins étaient faits pour que les enfants y jouent.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 67.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
heure

Ô heure merveilleuse, sérénité parfaite, jardin sauvage. Tu tournes le coin de la maison et, dans l’allée, la déesse du bonheur se hâte à ta rencontre.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 432.

David Farreny, 8 nov. 2012
nous

c’est la notion de parler qui fait défaut. c’est la notion d’avoir des relations. c’est la notion d’être. c’est la notion d’en vouloir et d’être. alors qu’on nous a posés là et qu’on n’en bouge pas. c’est tout dedans que ça remue. c’est quelque chose en dedans qui fait son remue-ménage. c’est même pas nous. nous on sait pas qui on est, on serait des nôtres. mais on n’est déjà pas là avec le personnage qui est moi. on n’a rien à voir avec un moi qui écrirait. ni un nous. l’époque est au nous. mais l’époque n’est pas à un nous scientifique. ni à un nous microbien. c’est le nous-nous noué à l’humain. c’est dégueulasse. l’époque dégueule du nous à travers nous. nous ne sommes pas du même bois que ce nous. nous sommes toujours avec le métal. nous sommes avec les vitres et les poutrelles. et nous sommes toujours d’accord avec les microbes et l’électricité. nous sommes profondément envieux du nucléaire. quoi qu’il arrive.

Charles Pennequin, « On n’est pas des écrivains », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 130-131.

David Farreny, 11 fév. 2014
tellement

X : il a écrit tellement de livres qu’il pourrait s’incinérer avec.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 120.

David Farreny, 13 sept. 2014
cachette

C’est bien pourtant quand nous sommes en vie que nous aurions souvent l’usage d’une cachette sous la terre fermée par une porte de marbre.

Éric Chevillard, « mercredi 25 mai 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 25 mai 2016

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