discipline

La discipline, c’est d’aimer ce qu’on aime.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 65.

David Farreny, 20 mars 2002
prosaïquement

Sur les murs étaient accrochés ces nouveaux tableaux animés, constamment en mouvement ; il s’agissait de deux machines bidimensionnelles qui se déplaçaient en bruissant doucement, comme le flux d’un océan lointain. Ou, pensa-t-il plus prosaïquement, comme une autofab subsurface. Il n’était pas très sûr d’aimer ça.

Philip K. Dick, Les Clans de la Lune Alphane, Albin Michel, p. 101.

Guillaume Colnot, 23 avr. 2002
siège

Quoiqu’ils fussent insectes et non hommes, ils jugèrent tout de suite que je ne pouvais rester seul et m’offrirent une chenille à ma taille avec qui je pusse passer la nuit.

Inattendu certes, des chenilles femelles, mais tout était inattendu.

Sa peau était de velours, du plus beau vert bleu, aux îles orangées, mais froides et poilues.

Fasciné, je contemplais la procession ondulante et perverse des chairs dodues, progressant souverainement vers moi, reine et caravane.

Monstrueuse compagnie.

Cependant lorsqu’elle fut proche à me toucher, l’esprit comme de celui qui va à la guillotine, mais corps consentant, gagné, haletant, je m’abandonnai.

Ce fut ensuite une vingtaine de centres musculeux et avides faisant le siège de mon être débordé.

Orage, long orage, cette nuit.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 510.

David Farreny, 30 juin 2002
vieillesse

Voici que le soir tombe. J’ai déjà vu tomber ce soir-là quelque part, ou un soir qui lui ressemblait beaucoup ; était-ce à Prague ou à Eupatoria ?

On prépare un bain pour moi. Le bruit de l’eau chaude tombant dans la baignoire, la vapeur qui se répand font toujours passer en moi des images voluptueuses.

J’ai pris mon bain, et j’achève de dîner. Les plats étaient beaux à voir, avec leurs hautes cuirasses d’argent. Je suis content du maître d’hôtel.

Je ne sortirai pas, ce soir. Dehors, les réverbères sont déjà allumés. Je reconnais cette clarté du gaz italien dans la limpidité de la nuit italienne. Rien ne change, et la vieillesse du monde grandit sur moi.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 87.

David Farreny, 24 avr. 2007
allégeance

— Tu ne dépends pas de moi.

— Et à qui donc est due mon allégeance ?

— À ce que tu aimes le plus. Mais tu ne sais pas encore ce que tu aimes le plus. Et ce n’est pas moi qui peux te le dire. Je sais ce que tu n’aimes pas, voilà tout. Tu n’aimes pas le Monde.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 271.

David Farreny, 24 avr. 2007
Américains

L’ethnographie non plus ne nous aide pas : voyez le peuple le plus mélangé du monde, les Américains ; c’est pourtant celui dont l’identité raciale saute le plus aux yeux ; en cent ans d’histoire, les États-Unis ont produit une race aussi reconnaissable que les peuples les mieux enfermés géographiquement. La morphologie américaine, issue de tant d’hérédités différentes, est si pure, qu’elle résiste à tous les travestis ; leur cinéma a beau nous montrer les soldats de Pilate, les compagnons de Jeanne d’Arc ou les courtisans de Marie-Antoinette, c’est toujours la tête de Truman ou celle du détective de service que vous repérez sous le casque romain, la galette médiévale ou la perruque Louis XVI. D’où le grand effet d’hilarité de leurs reconstitutions historiques.

Roland Barthes, « Visages et figures », Œuvres complètes (1), Seuil, pp. 268-269.

David Farreny, 3 mars 2008
botanique

Je reviens moi-même du midi où j’ai laissé Jacqueline et François V.R. achever août et l’été sur sa chute. Nous avons passé là des jours simplement heureux, confortant nos idées, prolongeant notre inquiétude tard dans les nuits qu’on aime tant qu’on se relève pour en presser les odeurs, les chants, les douceurs, la botanique.

Dominique de Roux, « lettre à Robert Vallery-Radot (28 août 1966) », Il faut partir, Fayard, p. 223.

David Farreny, 21 août 2008
bidule

L’excès de sérieux de ce bidule, sa constance, son obstination cessa soudain de les intimider. S’ensuivit une phase de familiarisation durant laquelle ils lui firent prendre des formes. Docile, elle couvrit l’abat-jour, pendouilla à l’espagnolette, aux patères, s’enroula dans la plante verte, occupant chaque fois la place avec un confort immédiat, puis s’affalant, k. Ils se l’envoyèrent d’un bout de la pièce à l’autre, tentant d’un coup de poignet rétro de la faire revenir, façon boomerang, qu’elle refusa d’ailleurs d’imiter, et, incapable de virer, elle alla s’écraser contre le mur sans rebondir, glissa pour s’avachir au sol et s’aplatir aussitôt, comme une crêpe butée, une crêpe qui aurait désiré rester crêpe contre vents et marées, k.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 112.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
courriers

On les a placés devant cette alternative : devenir des rois ou les courriers des rois. À la manière des enfants, ils voulurent tous être courriers. C’est pourquoi il n’y a que des courriers, ils courent le monde et comme il n’y a pas de rois, se crient les uns aux autres des nouvelles devenues absurdes. Ils mettraient volontiers fin à leur misérable existence, mais ils ne l’osent pas, à cause du serment de fidélité.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 454.

David Farreny, 8 nov. 2012
pointer

À se demander toutefois si notre sensibilité n’est pas cette antenne qui en toute situation va pointer avec précision la zone d’inconfort, d’angoisse et de malaise.

Éric Chevillard, « jeudi 17 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
lâcher

Relu et détruit des élégies de jeunesse (1975). Il ne s’agit pas de soigner ses propres traces mais de lâcher du silence entre les signaux.

Gérard Pesson, « lundi 10 mai 1993 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 101.

David Farreny, 19 oct. 2014
socialistes

On se lamente, on s’étonne ou on se réjouit de ce que les socialistes, la gauche, soient mauvais en médias, que depuis cinq ans ils ne passent pratiquement jamais la barre de la communication. En réalité, ils la passent très bien quand ils sont dans l’opposition, c’est-à-dire quand ils revendiquent, se plaignent, en appellent à. Alors, ils sont bons en médias. Excellents. Comme ils sont le Parti de l’Hystérie, ils ne s’épanouissent que sous les maîtres, pour les détruire… Leur remontée actuelle dans les sondages à l’approche des élections vient de ce que, comme on leur prédit qu’ils vont perdre, ils s’y projettent, s’y voient déjà, retrouvent leur ton polémique, oppositionnel, dénonciateur. Ils redeviennent eux-mêmes, c’est-à-dire minoritaires, opprimants, marginaux écumants tout-puissants. Le monde cesse de passer par eux. Ils cessent d’avoir à définir le monde. Ils peuvent laisser la légitimation du monde, qu’ils vont confirmer par leur revendication, à d’autres. Le public dès lors les reconnaît, les identifie, et les aime pour ce qu’ils sont. Des esclaves qui montrent les dents. Tout le monde est soulagé.

Philippe Muray, « 24 janvier 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 17.

David Farreny, 27 fév. 2016

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