stagnations

Je connais de grandes stagnations. Non point (comme font bien des gens) que j’attende des jours et des jours pour répondre, d’une carte postale, à une lettre urgente. Non point (comme personne d’ailleurs ne fait) que je repousse indéfiniment l’action facile qui me serait utile, ou l’action utile qui me serait agréable. Il entre plus de subtilité dans ma mésintelligence avec moi-même. C’est dans mon âme même que je stagne. Il se produit en moi une suspension de la volonté, de l’émotion, de la pensée, et cette suspension dure des jours interminables ; seule la vie végétative de l’âme — la parole, le geste, l’allure — peut encore m’exprimer aux autres et, à travers eux, à moi-même.

Fernando Pessoa, « Autobiographie sans événements », Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 151.

Guillaume Colnot, 8 nov. 2002
glas

Son calme apparent lui confère une irréparable gravité. Lorsqu’il dit que la condition humaine est un naufrage, une catastrophe, un péché, ses mots sont si pathétiques et si mesurés qu’on croirait entendre sonner le glas dans un traité de logique…

Emil Cioran, « Nae Ionescu et le drame de la lucidité », Solitude et destin, Gallimard, p. 382.

David Farreny, 24 juin 2005
existence

Des professeurs parlent de la difficulté qu’ils rencontrent à faire leur métier face à des classes dont les effectifs sont à quatre-vingt-dix pour cent composés d’étrangers ou d’enfants d’étrangers — mais bien entendu ces classes-là ne sont sans doute pas, elles, majoritaires…

Contre-épreuve, on voit aussi quelques images de la rentrée des classes en Suède : là-bas tous les enfants ou presque sont de type emphatiquement “suédois” ; tandis qu’il est désormais tout à fait impossible, évidemment, et pour des raisons d’ordre divers, de parler d’enfants de type “français”.

Dommage, c’était un type que j’aimais — pas plus que les autres, d’ailleurs : mais j’aimais son existence.

Renaud Camus, « mercredi 4 septembre 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 412.

David Farreny, 3 juil. 2005
matelassée

Je sens très fort sa fierté d’être entouré d’objets qui lui doivent leur existence, qu’il a directement ou indirectement produits par la force de ses bras ; et aussi son sentiment de sécurité vis-à-vis des coups durs : il s’en tirera toujours, parce qu’il peut faire n’importe quoi ; son sentiment de vivre dans une nature hostile et catastrophique qu’il faut et qu’il sait dompter, et son mépris des freluquets secrétaires qui ne peuvent vivre qu’au sommet d’une société matelassée et en ordre.

Jean-Paul Sartre, « jeudi 28 mars 1940 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, pp. 617-618.

David Farreny, 27 déc. 2006
obstacle

Aller à la fenêtre. (Ne pas presser le front contre la vitre ; ça se fait à la rigueur dans ces romans de pacotille où l’on s’agite beaucoup ; en vérité le radiateur y fait obstacle, ou aussi la longue et étroite tablette carrelée ; et d’ailleurs la susdite partie de votre anatomie rougit sous la pression et se salit, c’est tout ce qu’on obtient).

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
âge

Dix ans plus tard, Gregor est en train de mettre ses chaussettes avant d’aller chercher ses souliers sous le lit. Lentement, il les enfile avec cet air sérieux qu’ont parfois les hommes de son âge affairés à des activités pareilles, une expression grave de vieil enfant solitaire, appliqué, minutieux, coupé du monde et concentré sur sa tâche.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 162.

Cécile Carret, 17 oct. 2010
résultats

Une chauve-souris dort, suspendue à son aisselle. Elle le gêne un peu pour préparer ses potions et ses fientes acides les font tourner : le philtre qui devait lui procurer une jeunesse éternelle le frappe de sénescence. Souvent, les tâtonnements de la science produisent des résultats inattendus, le sirop antitussif fait grandir les nains, telle pommade contre l’acné polymorphe juvénile rend bossus ses utilisateurs – et si bien, plaident les laboratoires, que l’on ne voit effectivement plus leur vilaine figure boutonneuse – […]

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 106.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
effronterie

Alors que d’habitude je changeais constamment de pas, m’écartais à contretemps, me heurtais, je marchais maintenant avec les autres, et chacun de mes pas, si inhabituelle que fût la densité humaine, trouvait du jeu sur l’asphalte. Enfin je ne trottais ni ne traînais les pieds (comme tous dans les couloirs de l’internat), mais avais ma démarche, avançais en me balançant sur la plante des pieds qui déroulait, sensible, la succession des orteils, du métatarse et du talon, envoyais au passage de petits objets sur le côté, avec le sentiment d’effronterie tranquille qui, je l’éprouvai alors dans le recommencement, avait autrefois caractérisé mon enfance.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 104.

Cécile Carret, 8 sept. 2013
anglais

S’exprimer en anglais tout le temps, c’était comme jouer tout le temps dans un film et prononcer des mots appris, qui avaient un sens léger, réduit, passager. […] Même les injures qu’elle lui lançait manquaient de réel et paraissaient trembler, ne jamais atteindre leur cible. Oui, voilà, parler anglais ne la touchait pas et elle ne touchait pas. Parler anglais ne lui promettait que des situations normées.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 136.

Cécile Carret, 19 mars 2014
but

Mon but ? Il m’atteindra tôt ou tard.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 46.

David Farreny, 8 oct. 2014
rêve

Quand un homme rêve seul, c’est un rêve. Quand ils sont plusieurs à rêver le même rêve, c’est un cauchemar.

Philippe Muray, « 26 février 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 257.

David Farreny, 27 mai 2015

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