ravoir

Pourquoi on devrait être mieux en communiquant avec un autre qu’en étant seul, est étrange. C’est peut-être seulement une illusion : la plupart du temps, on est très bien seul. Il est agréable de temps en temps d’avoir une outre où se déverser et où boire soi-même : étant donné que nous demandons aux autres ce que nous avons déjà en nous. Pourquoi il ne nous suffit pas de regarder et de boire en nous-mêmes, et pourquoi il nous faut nous ravoir dans les autres ? Mystère.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 186.

David Farreny, 24 mai 2003
succincte

Et je contemple les plans de certaines villes de second rang,

Et leur description succincte, je la médite.

Valery Larbaud, « Poésies de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 72.

David Farreny, 10 août 2005
pléonasme

Il y eut dix Aristote : le premier est notre philosophe ; le second gouverna à Athènes, et on lui attribue d’agréables discours judiciaires ; le troisième a écrit sur l’Iliade ; le quatrième est un orateur siciliote qui fit un écrit contre le Panégyrique d’Isocrate ; le cinquième, surnommé Mythos, était un ami d’Eschine, le disciple de Socrate ; le sixième était de Cyrène et fit un art poétique ; le septième était pédotribe, et Aristoxène fait mention de lui dans sa Vie de Platon ; le huitième fut un obscur grammairien qui fit un traité sur le pléonasme.

Diogène Laërce, « Aristote », Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres (1), Flammarion, p. 240.

David Farreny, 11 août 2005
récapituler

Les journées que je passe, comme celle d’hier, à travailler furieusement le bois, me laissent courbaturé, rompu. Je dors à des profondeurs énormes, si loin de la surface qu’il me semble que rien ne me surprendrait vraiment au réveil. Et je suis un moment à récapituler les composantes du présent, l’âge qui est le mien, les enfants que j’ai, le métier que j’exerce, la couleur et le goût des jours où je suis.

Je lis l’Anthropologie de Sapir et corrige la thèse de Georges — l’expression, le français.

Il pleut sans discontinuer. Tout est trempé.

Pierre Bergounioux, « jeudi 28 mai 1981 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 47.

David Farreny, 11 mars 2006
trouble

Le vent qui s’est établi au nord-est éclaire et obscurcit, alternativement, le ciel, ce qui oblige à modifier en conséquence l’état intérieur et trouble inutilement son repos.

Pierre Bergounioux, « lundi 28 août 1995 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 607.

David Farreny, 12 déc. 2007
fluait

Cette ville était devenue, pour moi, une expérience spirituelle et la lumière souvent brumeuse qui la baignait me sensibilisait constamment à un ordre de vérité où les choses ne sont ni elles-mêmes ni leur reflet mais se tiennent ailleurs et se diluent en des significations multiples et toujours fuyantes — comme si la lumière était, ici, de nature aquatique et formait l’élément vital de ce qui n’en finit jamais de naître : larves, plancton, sargasses, semences saturniennes. C’était l’indéfini. Et lorsque les brouillards — légendaires — mêlaient, en leur stagnance, la totalité des éléments, la ville et la pensée comme la chair et son souffle ne se dissociaient plus : dans la profondeur de son inertie, le cœur unique de toutes choses fluait au-dedans de lui-même. Et moi, comme un atome que l’amour eût noyé, je consentais sans réserve au bercement du temps.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 15-16.

Élisabeth Mazeron, 6 mars 2010
ethnique

Je ne peux pas voir un chat dans la rue sans ressentir une complicité ethnique.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 36.

David Farreny, 27 juin 2010
pâture

Buée de buée       a dit le Sage       buée de buée       tout

est buée

Tous les fleuves   vont vers la mer   et la mer

n’est pas pleine       vers le lieu       où vont les fleuves

                            là ils vont toujours

Toutes choses sont d’une lassitude   nul ne saura   le dire

                     l’œil n’en aura pas assez                     de voir

              et l’oreille ne se remplira pas d’entendre

                            et tenez tout est buée et pâture

de vent.

Georges Perros, « La pointe du Raz », Papiers collés (3), Gallimard, p. 138.

David Farreny, 26 mars 2012
métaphysique

De quelle antériorité l’idée d’essence, de nature ou d’être rend-elle compte ? Mais, aussi, de quelle finalité ? De quelle nécessité ? Comme les gens de l’art se sont disputés et disputent toujours d’abondance là-dessus, tout me laisse à penser que cette idée ne résulte que d’une sorte de cristallisation ontologique : lorsque, à titre de mortel, un philosophe fait la vulnérante et humiliante expérience d’une vie aléatoire ; lorsqu’il se sent pour cela même peu enclin à marivauder avec une fortune si volage, il en vient à désirer une autre réalité dont il idéalise les attributs. Ainsi surgit en son imagination le mirage de l’« essence », de la « nature » ou de l’« être », impeccable arrière-monde, oasis du Sens, havre où son esprit se hâte d’accoster afin d’y apaiser les haut-le-cœur que lui cause le bateau ivre du hasard. J’appelle ce mirage une métaphysique et, ce genre de philosophe halluciné, un métaphysicien.

Le métaphysicien aimerait que son chimérique paysage se réalisât dans un immuable présent, ou qu’un temps coutumier, en en renouvelant les formes, en fît un abri sûr. Mais hélas pour lui, le temps reste le maître. Primesautier, imprévisible, capricieux, le temps ne déplace pas seulement les lignes, il viole aussi la virginité des essences, tourne le sens en dérision, bafoue la pérennité de l’être. Tout à son jeu de tric-trac, cet enfant terrible excelle à ébranler les fragiles constructions du hasard, son double, qui s’en divertit.

Frédéric Schiffter, « 7-8 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

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