triviale

J’ai entrepris de rédiger ce Journal tout simplement comme expédient, moyen de sauvetage, de peur de déchoir et de sombrer définitivement dans les flots de la vie triviale qui déjà m’arrivent jusqu’aux lèvres. Mais il apparaît que même sur ce terrain je ne suis plus capable d’un effort complet. Oui, on ne saurait être un zéro, un néant toute la semaine et se mettre à exister soudain le dimanche.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 85.

David Farreny, 24 mars 2002
diables

aller chez les grossistes pour retrouver ce plaisir

sucre lourd comme du ciment

papier vendu au kilo et porté par des diables

Michel Besnier, Un lièvre en son gîte, Folle Avoine, p. 38.

David Farreny, 13 avr. 2002
jamais

Tu n’as jamais lutté, rappelle-le-toi. Tu ne lutteras jamais.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 362.

David Farreny, 24 mai 2003
exode

Est-ce possible qu’il n’y ait rien à ce point, et que ce soit si lourd… Je suis découragé. J’ai un cerveau d’après exode lexical, y rencontrer ne serait-ce qu’une virgule tiendrait du miracle. Aucun mot ne se présente à mon esprit. Je prends sur l’étagère un livre que j’ai écrit, le feuillette et reste incrédule devant certaines petites proses pas si mal troussées. Je n’en reviens pas. Je dois renoncer définitivement à l’écriture. Je suis donc libre. Mais n’ayant malheureusement rien prévu de tel pour ma vie.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 89.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
années

Je suis monté là-haut en suivant le Val di Nos ; j’ai traversé les monts Zebio et Colombara, les Granari di Bosco Secco, le mont Palo ; j’ai laissé sur la gauche les monts Forno et Chiesa ; en prenant par les Campi Luzzi, j’ai atteint la Cima delle Saette. C’est un chemin que je connais depuis l’enfance et que j’emprunte quand je vais à la chasse ; mais, aujourd’hui, ce n’est pas pour les coqs de bruyère ou pour les perdrix blanches que je suis monté là-haut : c’est pour ces débris de pipes, ces bouteilles cassées, ces éclats d’os : pour rester un peu avec eux, et essayer de comprendre le problème que je me pose depuis des années : pourquoi la guerre ?

Mario Rigoni Stern, Requiem pour un alpiniste, La Fosse aux Ours, p. 34.

Cécile Carret, 22 janv. 2008
canapé

Quand la nuit fait rage. Fixe la plus proche, la plus scintillante — celle dont tu ignores le nom, parce que tu ignores beaucoup — enfonce de plus en plus fort ta vie dans un canapé à proximité d’une étoile.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 72.

David Farreny, 5 juil. 2009
laissant

Que devient le corps intouché ?

Il essaie de s’oublier lui-même, dans la bonne santé, qui par définition est silencieuse et ne tourmente pas, ou dans les afflictions et les maladies, qui l’occupent.

On s’occupe de lui, qui est devenu notre enfant et dont on est responsable, comme on a appris à le faire (dans l’enfance, ou en devenant adulte, quand il fallu se rendre présentable ou désirable), on le lave sans s’attarder, on l’apprête un minimum, on se nourrit en le nourrissant.

Ou le corps s’abandonne peu à peu, avec notre complicité, il se résigne. Il s’habitue à mourir à lui-même. Il s’éloigne de soi. Il n’y pense pas (on n’y pense pas).

Le corps se désintéresse de la chose, laissant l’esprit seul avec les stimulations diverses, ce qu’on voit, ce dont on se souvient avec regret ou amertume.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 67.

Cécile Carret, 13 mars 2011
gens

En attendant, j’ai pensé que les gens étaient tourmentés dans l’ensemble et j’aurais bien voulu que ça m’aide, mais ça ne m’a pas aidé. C’était de gens normaux que j’avais besoin, équilibrés, avec une direction de vie. Ou alors sans direction de vie mais qui le sachent. Comme Ségustat, ai-je songé. Voilà. Et en même temps non. Besoin de personne, ai-je songé aussi.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 137.

David Farreny, 22 sept. 2011
propriétés

Vos maisons, vos jardins, vos propriétés… vôtres tout autant que miennes par la vitre du train à grande vitesse.

Éric Chevillard, « samedi 10 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
film

Les grands moments d’une vie, les beaux, les forts, tiendraient sur une alléchante bande-annonce. Mais il faut se taper tout le film.

Éric Chevillard, « jeudi 19 juillet 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 27 fév. 2024
démonétisée

Je n’ai rien à faire, serre quelques mains, bavarde avec des libraires, des journalistes, des auteurs. Je les regarde, ces auteurs : fatigués, ringards, pitoyables, attendant le chaland sous les projecteurs qui les enlaidissent : Anne Wiazemski qui se décatit de salon en salon ; Marie Nimier dont le profil se rapproche de l’oiseau de proie et chez qui rien n’est laid sans que cependant l’ensemble soit beau ; Jocelyne François qui ne me reconnaît pas ou ne le veut ; Jean-Christophe Rufin qui, lui, me rappelle que nous nous sommes vus à Beyrouth, l’an dernier, et qui me dit : « J’ai dépassé les 80 000 exemplaires ; et toi ? » ; Lacouture, « régional de l’étape » qui cligne des yeux et grimace comme un vieil ecclésiastique surpris à la sortie d’un bordel ; Dominique Fernandez qui semble épuisé d’être lui-même et pose une main fripée de vieille femme sur l’épaule de son giton, et tant d’autres dont la vue me désole, tâcherons des lettres, commis, clercs, mitrons, courtisans, sycophantes, ilotes d’une renommée impossible et d’une gloire hors d’atteinte, sans doute démonétisée…

Richard Millet, « 10 octobre 1998 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 24 avr. 2024

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