afflux

Sous le couvert des arbres entremêlés, entre les rochers et les lianes, à Mauroux, incroyable profondeur du champ, comme sur les vieilles photographies sur verre, doubles, en relief quand on les regarde dans l’appareil.

Silence parfait le long du chemin, au retour. Il ne manque plus que notre disparition.

Les chiens sont gais et vigoureux, jeunes, contents d’être là, contents d’être avec moi, ravis. Ils furètent en remuant la queue, ils sautent d’un rocher à un autre, ils dénichent partout des bâtons qu’ils viennent déposer à mes pieds afin que je les lance pour eux. Tout est beau, les sentiers sont cordiaux, on dirait que l’air nous aime. Formidable afflux d’être. Il suffirait, pour décider d’être heureux, de rabattre toute espérance sur l’instant. Je n’ai pas d’amour, je n’ai pas d’argent, je n’ai aucun succès, je suis seul, seul, seul, mais ceci, ce maintenant, ce silence, cette paix, cette gravité transparente du paysage sont un émerveillement.

Renaud Camus, « samedi 18 octobre 1997 », Derniers jours. Journal 1997, Fayard, pp. 325-326.

David Farreny, 23 fév. 2003
fondation

Je suis arrivé au tréfonds de mes convictions.

Et, de ce mur de fondation, on pourrait presque dire qu’il est supporté par toute la maison.

Ludwig Wittgenstein, De la certitude, Gallimard, p. 74.

Guillaume Colnot, 28 août 2003
pardi

Que ferait-on si l’on ne devait

exister qu’à ses propres yeux

rien pardi

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 35.

David Farreny, 16 juin 2006
drap

On voudrait repousser soi comme on repousse un drap. On voudrait crever sa peau et glisser comme un poisson dans la lumière. On voudrait un temps unique qui ne sépare de rien. Qui nous a mis ça en tête ? On voudrait nager tout entier dans le corps d’une femme, pour ne plus penser. Qui nous a mis ça en tête ? On voudrait mille autres choses de moindre importance, pour tuer l’orgueil démesuré. On ne voudrait plus attendre, s’affaler sur l’autre rive où miroite sous la frondaison un sable blond comme miel. Qui nous a mis ça en tête ? On voudrait ce que des milliards d’hommes n’ont pas même osé rêver. Par misère ou par pudeur.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 95.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
fièvre

Qu’était-ce donc que la vie ? Elle était chaleur, chaleur produite par un phénomène sans substance propre qui conservait la forme ; elle était une fièvre de la matière qui accompagnait le processus de la décomposition et de la recomposition incessantes de molécules d’albumine d’une structure infiniment compliquée et infiniment ingénieuse. Elle était l’être de ce qui en réalité ne peut être, de ce qui oscille en un doux et douloureux suspens sur la limite de l’être, dans ce processus continu et fiévreux de la décomposition et du renouvellement.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, pp. 316-317.

David Farreny, 3 juin 2007
accessoirement

Dites-vous que la douleur s’estompe à la longue, tout passe, même vous, même eux, les corps et le reste, les couples se succèdent indifféremment, sans laisser de traces bien longtemps, un clou chasse l’autre comme on dit, leurs pas s’effacent les uns à la suite des autres, et tout va benoîtement à la disparition sans trop faire de scandale. La plupart du temps, errant comme des âmes en peine, des fantômes qui ne veulent pas vraiment exister, ni pleinement s’actualiser dans le monde immédiat, il faut s’avouer que l’on n’est pas capable d’aimer, que l’on n’est pas vraiment à la hauteur du sentiment ni même du désir amoureux, que l’on ne voit que la face souriante du paradis à l’horizon. L’on s’en approche de très près, jusqu’à en toucher la lisière lumineuse, mais on ne poursuit pas plus avant cette vision de rêve, cette promesse, aventureuse.

Vivant anonymes, parmi des contemporains de bien peu de poids en réalité, menacés, périssables, incertains, l’on occupe sa vie à penser accessoirement à l’essentiel, à ce qui constituerait peut-être une bonne raison d’exister effectivement, et nombre de rencontres importantes, de passages à l’acte, d’engagements à plus ou moins long terme se produisent selon l’humeur ou l’occasion, faute de mieux quelquefois, comme en désespoir de cause.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 65.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
balnéaire

Mardi – Un ciel blanc de chaleur, déjà, des jointures que l’on serre. Dans le virage qui mène à Stalingrad un store enrouleur me fait de l’œil (c’est possible). Je prends ce vélo suspendu au balcon du cinquième et hop, à la mer. J’emporte la gare et les rails au cas où et cette cheminée de nickel. La superposition des façades opposées dans un reflet de vitre est encore balnéaire.

Vendredi – Une vitre réfléchie assène son velouté au mur du dessous, qui traîne sa lèpre le long du quai. Je suis belle et je t’emmerde, dit-elle. J’ai des locataires d’Atlantique, toi tu attires les rats. Rien à dire.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 14.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
canapé

Quand la nuit fait rage. Fixe la plus proche, la plus scintillante — celle dont tu ignores le nom, parce que tu ignores beaucoup — enfonce de plus en plus fort ta vie dans un canapé à proximité d’une étoile.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 72.

David Farreny, 5 juil. 2009
désenchanteresse

L’éventualité de partir jette une clarté désenchanteresse sur l’histoire à laquelle je me suis trouvé mêlé. Sans doute fallait-il la juger importante lorsqu’elle était en cours. Elle devient singulièrement insignifiante quand elle semble pour s’achever.

Pierre Bergounioux, « vendredi 25 décembre 2009 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 1095.

David Farreny, 26 fév. 2012
écho

Aujourd’hui, je n’ose même pas me faire de reproches. Criés à l’intérieur de ce jour vide, leur écho vous soulèverait le cœur.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 15.

David Farreny, 7 oct. 2012
spirites

À l’aube, des disputailleries de corvidés sur une grue voisine, nettement audibles dans le demi-sommeil. À ces cris qui semblaient parfois excédés d’en être réduits à l’inarticulé, sont venus se superposer des lambeaux de rêves qui, pour tâcher de leur donner un sens, proposaient d’y voir quelque chose comme la naissance d’un langage — voire du langage lui-même. Le réveil a remis les choses en place en démontant brutalement l’ingénieux petit échafaudage mental. « Les spirites ne travaillent pas au soleil » (P. Valéry).

Gilles Ortlieb, « Vraquier », « Théodore Balmoral » n° 68, printemps-été 2012, p. 98.

David Farreny, 19 mars 2013
favorable

Le bonheur d’une expression vaut tout autant qu’une pensée heureuse, puisqu’il est presque impossible de se bien exprimer sans mettre en favorable lumière ce qu’on exprime.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 270.

David Farreny, 13 janv. 2015

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