Atlantique

Je suis un être de lenteur, de retours en arrière, d’intentions à très long terme, de toutes ses forces et de tous ses sens appuyé sur le passé. Je me fais l’effet d’un mouvement historique enfoui sous les gestes des hommes qui met deux siècles à trouver son rythme et trois à s’accomplir. Je chemine à la vitesse des continents, il est bien peu probable que je voie jamais l’Atlantique.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 101.

Élisabeth Mazeron, 7 nov. 2007
gauche

Le discours de gauche, qui rassasie quotidiennement une immense population où, pour m’exprimer comme un sociologue, se retrouvent pêle-mêle classes moyennes et supérieures, électorat jeune, néo-bourgeois, artiste, secteur associatif, etc., c’est-à-dire 90 % de la population, est un discours sans alternative. Concernant l’éloge du Moderne tel qu’il avance, un autre monde n’est pas possible que le sien. C’est donc à mes yeux un ennemi aussi consistant que dominant et, comme tel, le seul auquel il soit intéressant de s’affronter.

Philippe Muray, entretien paru dans la revue « Médias », numéro 8.

David Farreny, 23 janv. 2008
tendance

Entre la mémoire aux aguets et le culte des exceptions, allez vous y retrouver pour être, à tout coup, tendance ! Un jour vigilant, le lendemain politiquement incorrect, passant sans crier gare de l’antifascisme ombrageux au dandysme dédaigneux, le pouvoir spirituel de notre temps semble décidément bien frivole et versatile. il y a pourtant une continuité dans cette inconséquence : celle du Tribunal qu’il incarne et des procès qu’il ne cesse d’intenter en s’abreuvant à ces deux sources intarissables de la persécution : l’amour de l’humanité et le mépris des gens.

Alain Finkielkraut, « Tendance », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 262-263.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
vieillir

Vieillir n’y fait rien ; même si on est plus faible, on ne s’habitue pas davantage aux choses. Simplement on ne les découvre plus, on s’y attend avec une sorte de résignation à chaque fois balayée par un sursaut de « non ». Encore plus âgé, peut-être qu’on finit par se taire et marmonner un « c’est comme c’est » vaseux.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 15.

Cécile Carret, 4 mars 2010
fatigue

Or en ce temps-là, j’étais fatigué, d’une fatigue déjà ancienne, incarnée, que je croyais irrémédiable. Ce n’était pas la fatigue que nous connaissons tous, qui se dépose sur le bien-être et l’étreint comme une paralysie temporaire, c’était un manque définitif, une amputation. Je me sentais vidé, comme un fusil déchargé, et Valerio était comme moi, même s’il en avait moins conscience, et tous les autres aussi.

Primo Levi, « Capaneo », Lilith, Liana Levi, p. 12.

Cécile Carret, 21 mars 2010
étais

tout ce métal tout ce granit tous ces étais

pour que tienne le pariétal

quand tu ne craindras plus les eaux

tu t’appuieras au fond du crâne

comme à ce mur chaud

qui fait oublier le glaucome du soleil

et regarderas devant

Michel Besnier, Humeur vitrée, Folle Avoine, p. 39.

David Farreny, 28 nov. 2010
croie

Pauvre Raphaël ! Comme s’il n’avait jamais entendu parler de la progression formidable, dans les statistiques, des familles monoparentales ! Toujours est-il qu’il venait d’avoir le premier et il se trouvait là, dans mon bureau, regard fixe, épuisé, halluciné, fébrilement dépassé par la situation, crevé et comblé. « Tu ne peux pas savoir… » Il n’arrêtait pas de se répéter. « Tu ne peux pas comprendre… Il n’y a que ceux qui sont passés par là qui sentent le phénomène… Un truc fabuleux… » Il était métamorphosé. Il essayait, de tout le désespoir en lui dont il ne se doutait pas un instant, de me faire saisir quand même à quel point je n’étais pas dans le coup du bonheur dans lequel il était persuadé de me faire croire qu’il baignait. Une joie inouïe, incommunicable. Une révélation. Il était là, lui, initié, sortant d’un mystère intraduisible et transfigurant. Il voulait que j’y croie. Sinon sa félicité n’aurait pas été complète.

Philippe Muray, Postérité, Grasset, p. 92.

David Farreny, 5 déc. 2012
caducité

Ç’aura été un perpétuel sujet d’étonnement et de rumination que la caducité de mes desseins les plus fermes, la ruine de projets longuement mûris.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, p. 34.

David Farreny, 7 juin 2013

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