expérience

L’expérience, c’est se rendre compte que rien n’a changé.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 71.

David Farreny, 21 mars 2002
Straszewicz

L’humour bouleverse et renverse tout sens dessus dessous, à tel point qu’un humoriste-né ne se borne jamais à être ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. La plume brillante de Straszewicz, c’est la plume réfractaire de Gogol — par elle Straszewicz devient un anti-Straszewicz, thèse et antithèse dont la synthèse nous fournit un super-Straszewicz : un Straszewicz qui tout en demeurant encore Straszewicz devance le Straszewicz d’un pas allègre.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 224.

David Farreny, 24 mars 2002
pas

Je n’apprécie pas vraiment les gens. Et ceux que j’aime bien ne sont pas dignes de confiance. Je ne crois pas à la nature humaine, je ne lui voue pas une grande admiration. Je ne fais pas plus confiance à la société. La race humaine ne m’intéresse plus, je ne tiens pas à ce qu’on sauve le monde, je ne m’intéresse plus aux problèmes d’environnement, ça n’en vaut pas la peine. Les gens méritent de disparaître. Je serai content lorsque les tigres, les rhinocéros et les éléphants auront disparu, car ils ne pourront plus être persécutés. Tout ce que mérite la race humaine, c’est de partir en fumée.

Morrissey, propos recueillis par Christian Fevret, « Les Inrockuptibles », numéro 47, juillet 1993.

Guillaume Colnot, 16 sept. 2003
fers

Angra-dos-Reis, Ubatuba, Parati, São Sebastião, Villa-Bella, autant de points où l’or, les diamants, les topazes et les chrysolithes extraits dans les Minas Gerais, les « mines générales » du royaume, aboutissaient après des semaines de voyage à travers la montagne, transportés à dos de mulet. Quand on cherche la trace de ces pistes au long des espigões, lignes de crêtes, on a peine à évoquer un trafic si important qu’une industrie spéciale vivait de la récupération des fers perdus en route par les bêtes.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, p. 97.

David Farreny, 29 nov. 2003
habitudes

Telles sont les aventures sur place de celui qui les voit venir, avant qu’elles ne se produisent, la nature étant lente comme on le sait, si lente, si engoncée dans ses habitudes qu’on croirait presque à des lois.

Henri Michaux, « En marge d’En rêvant à des peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 719.

David Farreny, 15 juin 2006
raideur

— Pas de lettre ?

— Elles se chauffent au bord de la route, répondait le postier en soufflant sur ses doigts.

Le courrier ne passait plus depuis dix jours. C’était vraiment la lune ici. Nous nous y trouvions bien. Mes élèves me laissaient quand même du temps pour travailler. J’essayais d’écrire, péniblement.

Le départ est comme une nouvelle naissance et mon monde était encore trop neuf pour se plier à une réflexion méthodique. Je n’avais ni liberté ni souplesse ; l’envie seulement, et la panique pure et simple. Je déchirais et recommençais vingt fois la même page sans parvenir à dépasser le point critique. Tout de même, à force de me buter et de pousser j’obtenais parfois pour un petit moment le plaisir de dire sans trop de raideur comme j’avais pensé. Puis je décrochais, la tête chaude, et regardais par la fenêtre notre dindon Antoine, une volaille décharnée que nous nous flattions d’engraisser pour Noël, tourner dans le jardin enneigé.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 162.

Cécile Carret, 30 sept. 2007
suffisantes

Au fond, je n’ai pas besoin de pensée, sauf à des fins disons morales ou d’orientation. La sensation, l’émotion, la mémoire et la langue me sont largement suffisantes dans leur mouvement continu de reprise/renouvellement.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 41.

Cécile Carret, 4 mars 2010
cinquantaine

Quand on pense à la cinquantaine qui guette les premiers hippies, le cœur se serre.

Paul Morand, « 16 octobre 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 635.

David Farreny, 23 sept. 2010
or

Pendant qu’ils buvaient, il raconta : « Il y a peu, j’attendais de la visite. Lorsque j’allai ouvrir, je vis immédiatement que le visiteur dégoulinait de pluie de la tête aux pieds. Or, je venais de nettoyer tout l’appartement ! Pendant que je l’invitais à entrer et lui serrais la main, je remarquai que j’étais moi debout sur l’essuie-pieds en train de me nettoyer les souliers avec la plus grande énergie comme si c’était moi le visiteur mouillé. »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 77.

Cécile Carret, 30 juin 2013
île

Seul comme Franz Kafka ? Seul comme Philippe Muray ?

Seul comme ? Seul comme ce qui n’a pas de comme.

Sens du soupir de Kafka…

J’ai été seul, et ma solitude je vous l’ai rendue inoubliable.

Solitude la plus basse, la plus noire, la moins romantique, pittoresque, littéraire qui soit. Solitude sexuelle. Tous les sexes ensemble d’un côté et moi de l’autre côté. Ma solitude repose sur leur mime sexuel commis en commun.

Même sur une île déserte, j’aurais toute l’île déserte contre moi.

Philippe Muray, « 6 février 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 243.

David Farreny, 27 mai 2015
épuisement

Nous sommes sortis du temps infini de la lecture individuelle. Écrire dans sa propre langue, c’est d’ores et déjà se condamner, comme pour les sciences, à n’être presque pas lu ; c’est accepter la disparition de l’écrivain au sein de l’épuisement de la littérature. Rien de bien neuf, donc, sauf cet épuisement qui fait que les grands récits et les grandes métaphores sont en train d’émigrer vers d’autres supports dans lesquels la langue n’est qu’un élément parmi d’autres, désacralisé, instrumental, véhiculaire. Sur ce plan-là, écrire revient à entériner la mort des langues, à entrer dans la nuit pour y chanter comme un enfant dans le noir.

Richard Millet, « 6 », Désenchantement de la littérature, Gallimard.

David Farreny, 7 mai 2024

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