éducation

« Nous savons bien que ceux que nous chargeons d’éduquer nos enfants n’ont, pour la plupart, pas reçu d’éducation eux-mêmes. Et nous n’ignorons pas qu’ils ne peuvent transmettre ce qu’ils n’ont jamais appris et qui ne peut s’acquérir d’une autre manière. » Ainsi s’exprimait Leopardi il y a presque deux siècles. Il eut la prudence d’attendre d’être mort pour faire connaître au public de si beaux sentiments.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 300.

David Farreny, 19 mai 2002
publiés

Les Anciens pourraient dire à raison que leurs poèmes, simplement chantés, étaient publiés, tandis que nos livres, imprimés, restent toujours inédits.

Giacomo Leopardi, Zibaldone, Le Temps Qu’il Fait.

David Farreny, 4 nov. 2002
avant

Tout se mélange. Il n’y a pas la vie d’un côté, la mort de l’autre. Il n’y a pas ici la raison, et la folie sur cette autre rive, en face, bien séparée. Il n’y a même pas la santé, qui un beau jour s’arrêterait d’un coup, pour faire place à la maladie. Très avant dans le territoire du chagrin, le bonheur a encore ses enclaves, ses bons moments, ses rémissions.

Renaud Camus, Vie du chien Horla, P.O.L., p. 111.

David Farreny, 28 juin 2003
unique

Au loin

tout à fait au loin, une latte de fer, frappée, résonne

touchée peut-être par un enfant distrait

qui, rêveur, remarque à peine qu’il fait un bruit

bruit souligné pour moi seul

extraordinaire

unique

qui s’engage dans les profondeurs

introduisant saveur

développant saveur

enfilant saveur

au-delà

au-delà

au-delà.

Je tiens sur l’autel

ce son ineffable et saint

prodigieusement capable

prodigieusement important

inestimable et sacré.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 38.

David Farreny, 21 oct. 2005
dissimulation

Mais il fallait le plus souvent pour découvrir l’œuf caché une très longue quête. Bacadette était d’une ingénuité prodigieuse. C’est à l’échafaudage de stratégies nouvelles de dissimulation qu’elle se livrait, en une concentration acharnée, les après-midi, posée au milieu d’une allée, le bec sur la poitrine, sans même bouger quand on passait près d’elle.

Jacques Roubaud, Parc sauvage, Seuil, p. 48.

Cécile Carret, 22 janv. 2008
mystère

Comme les étoiles, les beaux textes naissent dans des nurseries de phrases où, sortant du disque d’accrétion et par contraction gravitationnelle, des agrégats de matière — rythmes, sonorités, idées encore indifférenciées, ou plutôt rythmes d’idées, idées de sonorités, sonorités de rythmes mêlés au point qu’on ne distingue plus les uns des autres — se condensent, se figent et se refroidissent. Écrire — et le faire toute la sainte journée, sans autre but ni désir —, c’est attendre le moment où l’on peut approcher de la forge sans se brûler (bien sûr, le génie, qui n’écrit pas mais crée, va directement se baigner dans la lave). On ramasse alors du mâchefer, des scories, des escarbilles qu’on n’a plus qu’à emballer dans du vieux papier, comme des harengs. Voilà pour le mystère de la littérature.

Thierry Laget, « Ne pas déranger », « Théodore Balmoral » n° 59-60, printemps-été 2009, p. 6.

David Farreny, 17 nov. 2009
rougit

Ce qui fait la dignité des êtres humains, c’est leur capacité à s’élever au-dessus des passions nées de l’égoïsme et à se placer sous l’empire de la loi morale. Il y a un abîme, autrement dit, entre le respect de soi et l’autosatisfaction. L’humanité n’est pas agréable : elle terrasse la présomption, elle humilie les penchants, elle est la part de nous-même qui rougit de nous-même. Or, scande l’époque, il ne faut plus avoir honte : la rougeur n’est pas l’afflux de l’humain, mais un symptôme pathologique.

Alain Finkielkraut, « Sauve qui peut le respect », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 252.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
sacrificiel

Lorsque l’hydre est attaquée par un crabe, elle lui abandonne un tentacule, lequel repoussera de toute façon. C’est ce que les biologistes marins appellent un leurre sacrificiel.

Véronique Bizot, Mon couronnement, Actes Sud, p. 73.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2010
carte

Ni l’un ni l’autre nous n’avions l’habitude de ces restaurants dont la carte présente une variété presque infinie. Ma femme surtout. Dans l’impossibilité de goûter simultanément à tout, elle ne parvenait pas à fixer son choix, ses yeux passaient d’un coin de la carte à l’autre, reflétant l’image coloriée de plats qui s’annulaient l’un l’autre, se mouillant, elle s’absorbant dans un rêve consultatif et silencieux, pendant que le garçon irrité tapait du pied devant sa chaise, se raclait la gorge avec une impertinence de plus en plus marquée et finissait par disparaître comme si on l’avait insulté.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 78.

Cécile Carret, 18 juin 2012
privés

Comme, pour achever de la convaincre, j’abordais le plus sérieusement du monde la question du prix en même temps que celle de l’agence, dont la mention figurait sur le panneau et par laquelle il convenait de passer pour faire affaire, la dame me répondit qu’à titre d’exception elle voulait bien m’ouvrir sa porte pour une visite, mais qu’elle allait justement sortir en vue d’une course. Je lui représentai, alors, que cinq minutes me suffiraient à circonscrire le lieu du regard, tout en lui demandant où, dans cette zone de la ville, elle entendait trouver des commerçants. En partie pour me l’expliquer, elle me fit entrer chez elle, et, tandis qu’elle m’indiquait le parcours complexe qui mène d’ici à la première épicerie, et qui eût réclamé le secours d’un véhicule qu’elle n’était de toute façon pas en mesure de piloter, je détaillais l’agencement et surtout le contenu des pièces, meubles un peu moins qu’anciens, literie d’avant l’invention du sommier à lattes, photos bistre, il est vrai, aux cadres cerclés d’or, cafetière aux imbrications multiples, objets utilitaires en forme d’objet décoratif ou anciennement utilitaire, telle la roue de chariot qui éclaire maintenant la table ; et je commençai à concevoir une envie, réelle, de m’installer ici, sur la pente de la colline, avec un grand congélateur à portée de main, sans téléphone, pour y attendre doucement la fin, sans impatience, avec la certitude que là où je serais, tôt ou tard, elle ne pourrait pas me manquer et qu’entre-temps j’aurais vécu ce que vivent les hommes privés d’avenir, au jour le jour, en prenant du poids et la mesure des choses.

Christian Oster, Le pont d’Arcueil, Minuit, pp. 183-184.

David Farreny, 14 mars 2013
portiques

Et si ce n’est ce chant, je vous le demande, qui témoignera en faveur de la Mer — la Mer sans stèles ni portiques, sans Alyscamps ni Propylées ; la Mer sans dignitaires de pierre à ses terrasses circulaires, ni rang de bêtes bâtées d’ailes à l’aplomb des chaussées ?

Saint-John Perse, « Amers », Œuvres complètes, Gallimard, p. 264.

Guillaume Colnot, 3 avr. 2013
fais

— Tu travailles ?

— Tu le vois bien.

— Je vois que tu ne fais rien.

— Tu ne peux pas comprendre.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 168.

Cécile Carret, 22 juin 2013
amour

L’homme dont je rêve sera celui qui aime en moi la femme qui ne dépend plus de lui. – Et qu’aimerez-vous en lui ? – Cette sorte-là d’amour.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 66.

Cécile Carret, 26 juin 2013
presque

La stupidité des radicalismes nous oblige presque à excuser les injustices qu’ils dénoncent.

Nicolás Gómez Dávila, Nouvelles scolies à un texte implicite (2), p. 50.

David Farreny, 27 mai 2015

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