pas

Et puis quelle action choisir ? Rien ne convient. Il se lève, il se rassoit, il étend le bras, il retire le bras, il se lève, il revient, il marche à grande vitesse de long en large sans s’arrêter (il le peut, quarante-huit heures durant), ou il saute, fait des culbutes, attire à lui la table, repousse la table, attire la table, renverse la table. Ce n’est pas que ça le satisfasse.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 135.

David Farreny, 21 oct. 2005
raffinement

Pas d’érotisme dans le troupeau, la meute ou l’agencement grégaire. En revanche, toute micro-société intellectuellement constituée le permet. Et la formule inaugurée par le contrat hédoniste constitue ce territoire policé de deux êtres — au moins — soucieux de construire leur sexualité selon l’ordre de leurs caprices raisonnés, grâce au langage habilité à préciser les modalités de ce à quoi on s’engage. Le contrat exige la parole donnée, il nécessite donc un degré de civilisation élaboré, un raffinement certain, sinon un certain raffinement.

Certes cette configuration éthique et esthétique idéale suppose des contractants sur mesure. À savoir : clairs sur leur désir, ni changeants ni ondoyants, pas hésitants, nullement travaillés par la contradiction, ayant résolu leurs problèmes et ne trimbalant pas leur incohérence, leur inconséquence et leur irrationalité en bandoulière. Ce qui caractérise ce genre de personnages ? La trahison permanente de la parole donnée, le changement d’avis et la mémoire sélective, intéressée, le goût pour la tergiversation verbale et verbeuse pour légitimer et justifier leurs volte-face, un talent consommé pour ne pas faire ce qu’ils disent et pour agir à rebours de ce qu’ils annoncent. Avec ce genre de citoyens, aucun contrat n’est possible. Une fois détecté, passer son chemin…

Michel Onfray, La puissance d’exister, Grasset, p. 138.

Élisabeth Mazeron, 15 janv. 2007
virtualités

Aujourd’hui la vie fait très mal derrière l’omoplate gauche. Un grand abattement passe au rouleau d’essorage les bouts de guenilles de mes virtualités. Il en sort un jus pas assez noir pour écrire avec.

Des cris aigus d’enfants mêlés à des coups de burin font un environnement sonore propre à se médicamenter. Un petit drapeau délavé, déchiqueté, bat faiblement dans une zone désertée par l’activité cellulaire.

Mon sexe veut bien tout. Il est comme l’eau. Il épouse toutes les formes dans un coma dépassé. De midi jusqu’au soir : procession d’heures sordides, évoluant à très basse altitude.

Jean-Pierre Georges, « Abattement », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 21.

David Farreny, 31 mars 2008
tête

Jolis moments et contrariétés contribuent inexorablement à nous faire une tête de veau.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 78.

David Farreny, 17 juin 2009
abstrait

Je suis abstrait et ne saurais pour le moment régler ma vie.

Vincent van Gogh, « Arles, avril 1889 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 485.

David Farreny, 2 juil. 2009
dormait

K. dormait ; ce n’était pas d’un sommeil véritable ; il entendait les discours de Bürgel peut-être plus nettement qu’éveillé, dans l’accablement de la fatigue ; il distinguait chaque mot, mais du fond d’une âme inconsciente, adieu son importune conscience, il se sentait parfaitement libre, Bürgel ne le retenait plus, le sommeil avait fait son œuvre, s’il n’était pas au fond du gouffre il était déjà submergé. Nul ne devait plus pouvoir lui arracher cette conquête. Il lui semblait qu’il venait de remporter un triomphe et que déjà toute une société se trouvait là pour le célébrer ; il levait son verre de champagne en l’honneur de cette victoire (si ce n’était lui, c’était un autre, peu importe) ; et, pour que tout le monde sût bien de quoi il s’agissait, on recommençait le combat et la victoire ; ou, pour mieux dire, on le livrait à neuf, et on l’avait déjà fêté, et on ne cessait pas de le fêter parce que l’issue, par un heureux hasard, en était connue à l’avance.

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 758.

David Farreny, 24 oct. 2011
mettable

Ah ! la beauté des jeunes filles ! Souvent, quand je vois des robes ornées de plis, de ruches et de franges de toutes sortes, bien tendues sur de jolis corps, je pense qu’elles ne resteront pas longtemps ainsi : elles prendront des plis qu’on ne pourra plus lisser, la poussière se nichera au plus profond des garnitures et on ne l’en retirera plus, et personne n’aura la tristesse et le ridicule d’enfiler chaque matin cette belle robe précieuse, pour ne la retirer que le soir. Et pourtant, il en existe de ces jeunes filles, de jolies filles pourtant aux muscles ravissants, aux fines chevilles, à la peau doucement tendue, avec des flots de cheveux vaporeux, qui enfilent journellement ce sempiternel déguisement, posent chaque jour le même visage dans le creux de la même main et le contemplent dans le même miroir. Parfois seulement le soir, en rentrant tard de quelque fête, elles découvrent dans leur miroir un visage usé, bouffi, poussiéreux, un visage trop vu et à peine mettable.

Franz Kafka, « Description d’un combat », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 43.

David Farreny, 19 nov. 2011
éternelle

La jeunesse éternelle est impossible, même s’il n’y avait pas d’autre obstacle, l’introspection s’y opposerait.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 543.

David Farreny, 9 nov. 2012
caducité

Ç’aura été un perpétuel sujet d’étonnement et de rumination que la caducité de mes desseins les plus fermes, la ruine de projets longuement mûris.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, p. 34.

David Farreny, 7 juin 2013
certaine

Aime ton prochain comme toi-même : c’est-à-dire avec une certaine honte.

José Camón Aznar, Aphorismes du solitaire.

David Farreny, 6 janv. 2015
esthétique

Les autobiographies intéressantes pourraient abonder si écrire la vérité ne constituait pas un problème esthétique.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 36.

David Farreny, 3 mars 2024

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