préoccupant

Certes, la durée de la vie humaine est chez nous bien augmentée mais le ralentissement des réflexes avec l’âge reste préoccupant.

Nos vieillards, nous les prolongeons aisément jusqu’à deux cents, deux cent cinquante ans, mais ils se font presque tous écraser dans la rue à cent trente ou cent quarante.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 514.

David Farreny, 30 juin 2002
condamnerais

Je condamnerais définitivement un homme sur un tic de langage mais non pas pour l’avoir vu assassiner sa mère.

Jean-Paul Sartre, « vendredi 24 novembre 1939 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 230.

David Farreny, 26 déc. 2006
entière

Tout avait vieilli en même temps qu’elle : tout mourrait avec elle ; et ce qui lui survivrait n’était qu’un monde décoloré, aussi imprécis que celui qu’elle n’avait pas connu. Elle ne croyait pas à une résurrection après la mort : et pas davantage à celle du passé dans le souvenir. Ce qui était disparu l’était sans retour, son image pâlissait, puis s’éteignait à son tour définitivement, au point qu’on en arrivait même à douter que cela eût existé vraiment. Elle était tout entière au temps qui passe, et n’y pensait jamais.

Danièle Sallenave, Un printemps froid, P.O.L., p. 249.

Élisabeth Mazeron, 26 fév. 2007
hériter

Qui veut la mort de ces malheureux artistes que rien ne parvient plus à faire sortir de la misère, hormis le plus froid des monstres froids d’aujourd’hui, l’État, dont le soutien culturel a été l’un des spectacles les plus obscènes qu’il y ait eu à subir depuis une vingtaine d’années ? Personne. Et on souhaite encore moins leur martyre. On désirerait seulement qu’ils cessent de se dire artistes, comme avaient pu l’être Michel-Ange, Degas ou Giotto durant la période historique ; et qu’ils arrêtent de s’affirmer leurs héritiers (on connaît le couplet habituel de ces maîtres-chanteurs : « Ceux qui crachent sur mon œuvre sont les descendants de ceux qui crachaient sur Manet »). Pour désigner leurs activités dans l’espace Art, on ne saurait trop leur conseiller de trouver des mots nouveaux. L’inimitable style dans lequel ont été proposés les « emplois jeunes » de Martine Aubry pourrait les inspirer : on les verrait assez bien s’intitulant agents d’ambiance symbolique, coordinateurs-peinture ou médiateurs plasticiens. Mais la vérité est qu’ils n’entrent en art que comme on entrait en religion jadis : parce qu’on n’avait aucun espoir d’hériter de qui que ce soit. Le dépeuplement des campagnes, puis la montée du chômage, sont les causes prosaïquement désolantes et sociologiques de cette inflation d’artistes, après-guerre, tout enfiévrés de leur apostolat poético-magique venu de nulle part et transfiguré en mission créatrice. Encore les fameuses « Trente Glorieuses », où il y avait du travail pour presque tout le monde, nous ont-elles sans doute épargné quelques vocations artistiques supplémentaires, heureusement détournées en leur temps vers des professions plus honnêtes. Cette époque, hélas, est bien terminée. Sur le terreau de l’ « exclusion » et du chômage galopant, les artistes prolifèrent ; et ils se nourrissent en circuit fermé de toute cette misère dont ils sont les parasites.

Se sachant sans justification, ils tentent de se légitimer en affichant une bonté, une compassion, un dévouement aux intérêts des plus démunis par lesquels ils tentent de désarmer une hostilité qui grandit. C’est toujours quand on sort de l’Histoire qu’on invoque la morale, par laquelle on espère encore donner au présent une apparence d’éternité.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, pp. 77-78.

David Farreny, 19 janv. 2008
incendie

toute cigarette finit au cendrier

toute marée se meurt sur la dent du rocher

tout spectacle s’éteint

dans le fracas des strapontins

et même ton souvenir qui s’arme dans cet écrit

finira lui aussi dans la chaleur de l’Incendie

William Cliff, « La Coruña », Marcher au charbon, Gallimard, p. 68.

David Farreny, 4 sept. 2009
butée

Mandex saisit l’échantillon (était-ce un échantillon ?), le balança dans le coffre, claqua la porte, se ravisa, la rouvrit doucement dans l’espoir de prendre le bidule sur le fait, en défaut. Un rai de lumière s’insinua, tombant sur des petites collines mouvementées qui, peu à peu, ondulèrent puis s’étendirent mollement sur leur aire maximale comme un gaz plat, et s’affala sur le sol, rendit, en retard, son fameux chtkk, ou chploc, un son sec de chose pressée de se taire, sans o dans le floc, un son de consonnes, chplk ou simplement k, une façon butée de signifier qu’elle n’avait aucun rapport avec les choses qu’elle cognait, ou un refus de transmettre. Mais peut-être évoluait-elle dans l’ultrason, ou l’infra.

— Faudrait un chien, alloua Pétapernal.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 110.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
vacance

Je devrais détester le pavillon de Croisset, je ne puis. Il dresse le maigre vestige qu’il est au milieu des silos, des minoteries, des grues, des rails, des voies express des faubourgs portuaires de Rouen, en aval sur la Seine. Il faut avouer que ce paysage de catastrophe a une certaine beauté. Est-ce le cinéma qui nous a appris à l’aimer ? Ou bien les fleuves ont-ils toujours quelque chose pour nous plaire, quoi qu’il puisse leur arriver ? Tous ces grands édifices qu’on voit là donnent aussi le sentiment qu’ils ont un peu dépassé, eux aussi, leur âge de plus grande efficacité. Il n’est pas impossible même qu’ils aient déjà rejoint, comme la maison de Flaubert effacée, le camp des vaincus, des oubliés par le temps, des vestiges, des traces, des simples emplacements. D’eux aussi la vie se retire : la force, la puissance, l’agressivité, la barbarie. Ils sont en train d’aborder à ce site de toutes les indulgences, des tendresses et des émois lyriques : la vacance.

Renaud Camus, « Pavillon de Croisset, Canteleu, Seine-Maritime. Gustave Flaubert », Demeures de l’esprit. France II. Nord-Ouest, Fayard, pp. 436-437.

David Farreny, 26 fév. 2010
fluait

Cette ville était devenue, pour moi, une expérience spirituelle et la lumière souvent brumeuse qui la baignait me sensibilisait constamment à un ordre de vérité où les choses ne sont ni elles-mêmes ni leur reflet mais se tiennent ailleurs et se diluent en des significations multiples et toujours fuyantes — comme si la lumière était, ici, de nature aquatique et formait l’élément vital de ce qui n’en finit jamais de naître : larves, plancton, sargasses, semences saturniennes. C’était l’indéfini. Et lorsque les brouillards — légendaires — mêlaient, en leur stagnance, la totalité des éléments, la ville et la pensée comme la chair et son souffle ne se dissociaient plus : dans la profondeur de son inertie, le cœur unique de toutes choses fluait au-dedans de lui-même. Et moi, comme un atome que l’amour eût noyé, je consentais sans réserve au bercement du temps.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 15-16.

Élisabeth Mazeron, 6 mars 2010
bastions

Je mourrai probablement silencieux, entouré de silence, presque dans la paix et j’envisage cette fin avec sérénité. Comme par méchanceté, le destin nous a donné en partage à nous autres chiens un cœur d’une admirable vigueur, un poumon qu’on ne peut user avant l’heure ; nous résistons à toutes les questions, même aux nôtres. Des bastions de silence, voilà ce que nous sommes.

Franz Kafka, « Les recherches d’un chien », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 688.

David Farreny, 27 déc. 2011
loi

Il avait coutume de nommer ses vertus et ses défauts, Chambre des communes et Chambre des Lords et, très souvent, la première promulguait une loi que la seconde refusait d’adopter.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 135.

David Farreny, 23 oct. 2014

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