difficulté

La difficulté de commettre le suicide réside en ceci : c’est un acte d’ambition que l’on ne peut commettre que lorsqu’on a dépassé toute ambition.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 102.

David Farreny, 24 mai 2003
rompre

À un certain degré de détachement ou de clairvoyance, l’histoire n’a plus cours, l’homme même cesse de compter : rompre avec les apparences, c’est vaincre l’action et les illusions qui en découlent. Quand on s’appesantit sur la misère essentielle des êtres, on ne s’arrête pas à celle qui résulte des inégalités sociales, ni on ne s’efforce d’y remédier.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 34.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
audaces

Levé à cinq heures. Je suis en grève. J’attaque aussitôt la difficulté sur laquelle je me suis cassé les dents, mardi. Il faut la pointe de l’esprit, celle neuve, aiguisée que nous rend la nuit, et si prompte à s’émousser, à se briser, pour percer l’espèce de paroi qui me sépare de ce qu’il faut écrire. J’aurai couvert la première page vers neuf heures mais devrai attendre le milieu de l’après-midi pour venir à bout de la deuxième. Il me semble soudain m’être rapproché de la fin. Écrire garde à mes yeux, malgré le temps, sa prime et tenace étrangeté. À la relecture, je perçois encore l’assemblage labile des parcelles ternes, hétéroclites, mal solidifiées, mal liées, que je suis allé chercher je ne sais où, comme en apnée, les choix petits, les pauvres résolutions, les misérables audaces au prix desquels j’ai ajouté deux ou trois mots à ceux qui précédaient, hasardé le début d’une nouvelle phrase, cheminé à la façon d’un escargot vers le bas de la page, les trois et quatre heures d’un labeur violent qu’il a fallu pour remplir un feuillet 21 x 29,7. C’est le lendemain, ou plus tard, encore, que le désordre du chantier, le brouillard d’affects pénibles, d’incertitude et d’impuissance sentie, le halo des possibilités écartées, à chaque pas, s’estomperont. Je ne percevrai plus que le fil mince de ce qui est écrit, et, du même coup, les gauchissements, faiblesses, obscurités, solutions de continuité qui l’affectent et qui m’ont échappé dans le trouble et le tremblement dont je l’ai tiré.

Pierre Bergounioux, « jeudi 20 octobre 1988 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 736.

David Farreny, 20 avr. 2006
tous

Le solitaire sera éclaboussé par tous.

Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1183.

David Farreny, 7 août 2006
condamnerais

Je condamnerais définitivement un homme sur un tic de langage mais non pas pour l’avoir vu assassiner sa mère.

Jean-Paul Sartre, « vendredi 24 novembre 1939 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 230.

David Farreny, 26 déc. 2006
culture

Je forcerais à peine ma conviction en écrivant qu’« il n’y a d’histoire que de la noblesse » — et encore pourrait-on remplacer dans cette phrase le mot histoire par le mot culture. La culture, c’est l’histoire de la noblesse des idées, des œuvres, des gestes, des sentiments et des arts ; et c’est aussi, inséparablement, la chronique des ancêtres, et de leurs propres gestes et de leurs sentiments. S’il n’y a plus d’ancêtres, plus de noblesse, plus d’histoire, plus de gestes et de geste, il n’y a plus de culture — à moins, bien entendu, et comme nous le voyons faire parmi nous, d’appeler culture ce qu’il y a.

Renaud Camus, « lundi 30 mai 2005 », Le royaume de Sobrarbe. Journal 2005, Fayard, p. 281.

David Farreny, 17 janv. 2009
sorties

Idée de suicide ; idée de séparation ; idée de retraite ; idée de voyage ; idée d’oblation, etc. ; je puis imaginer plusieurs solutions à la crise amoureuse et je ne cesse de le faire. Cependant, quelque aliéné que je sois, il ne m’est pas difficile de saisir, à travers ces idées récurrentes, une figure unique, vide, qui est seulement celle de l’issue ; ce avec quoi je vis, complaisamment, c’est le fantasme d’un autre rôle : le rôle de quelqu’un qui s’en sort.

Ainsi se dévoile, une fois de plus, la nature langagière du sentiment amoureux : toute solution est impitoyablement renvoyée à sa seule idée — c’est-à-dire à un être verbal ; en sorte que finalement, étant langage, l’idée d’issue vient s’ajuster à la forclusion de toute issue : le discours amoureux est en quelque sorte un huit clos de Sorties.

Roland Barthes, « Idées de solution », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 169.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2009
suspens

Il faut comprendre l’extrême recueillement que fut ma vie en ce temps-là — recueillement de la pensée immobilisée dans la stupeur mais aussi recueillement de tous les sens, retirés en eux-mêmes, privés, chaque jour davantage, des stimulations du monde extérieur. Les couleurs s’effaçaient, les volumes s’amenuisaient, les formes s’effondraient. Une ère d’indigence et de restriction avait commencé. Les bruits avaient cessé. L’espace était si blanc que saveurs et senteurs devenaient proprement inconcevables. Même les sensations qui naissent des tensions infimes de l’organisme lorsque celui-ci se jette au-devant de la vie, se trouvaient altérées, tant le suspens de mon corps au-dessus du vide m’obligeait à me ramasser sur mes assises intimes, à seule fin de ne pas m’écrouler. Et j’évitais de toucher les choses, évidemment si menacées et si périssables, comme si, par le contact, leur fragilité risquait de s’infuser en moi.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 67-68.

Élisabeth Mazeron, 18 mars 2010
écartelé

Si les dimensions du réel et de l’imaginaire peuvent s’ajuster harmonieusement, et se communiquer mutuellement leurs richesses, il arrive aussi que le rêveur se retrouve écartelé entre leurs exigences contradictoires. Une part de sa vie, et non des moindres, nécessite qu’il abandonne sa bienheureuse hébétude, non seulement pour se soumettre à des contraintes qui lui déplaisent, mais aussi parce qu’il peut vouloir son propre bien d’une manière moins immédiate. Il peut par exemple avoir besoin de mobiliser toutes ses forces, en un effort tendu, pour progresser dans un domaine qui l’intéresse, pour intervenir dans la sphère sociale. Pour désigner ces deux temps de l’existence, Bachelard emprunte à Carl Gustav Jung ses notions d’animus et d’anima (chez Jung, l’animus désigne la part masculine du psychisme féminin, et l’anima, la part féminine du psychisme masculin). À l’animus le dynamisme, la socialisation, le temps haché par les horaires ; à l’anima la langueur, la solitude, la durée. Pour tous les hommes, le passage de l’un à l’autre se fait, par la force des choses. Sans cesse, les contingences de la vie quotidienne viennent rappeler au rêveur les exigences de l’animus. Il faut s’arracher de son lit lorsque le réveil sonne, quitter l’habitacle protecteur du train ou de la voiture lorsqu’on est arrivé à destination, s’ébrouer lorsque le médecin apparaît sur le seuil de la salle d’attente, se forcer à cesser de penser à l’être aimé pour se mettre enfin au travail, retourner à l’école, à l’atelier ou au bureau lorsque le week-end ou les vacances, dont on aurait voulu retenir chaque minute et qui nous ont coulé entre les doigts comme du sable, sont terminés…

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 39.

Cécile Carret, 1er mai 2012
période

Mon corps, depuis quelques années déjà, est entré dans une période néo-expressionniste.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 37.

David Farreny, 8 oct. 2014

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