époque

Je sais bien que tout homme pensant tient son époque pour la plus misérable, mais je dois avouer que je ne suis pas exempt de cette illusion.

Arthur Schopenhauer, Petit bréviaire cynique, texte inédit publié par le Magazine littéraire, numéro 328.

Guillaume Colnot, 6 janv. 2004
surprise

Le présent n’est pas dans ce qu’on espère. La vérité n’est pas dans ce qu’on imagine. Être vous prend par surprise. Vivre ne se tient pas tapi au milieu du désir — mais plutôt, peut-être, au cœur des coïncidences, parmi l’inattendu et l’inenvisagé, dans l’écorce d’un quotidien paradoxal, le quotidien des autres, où nous serions tombés du ciel en autocar ou en jeep, dans le Bardastrandar, sur les contreforts du Pinde, dans la sierra de Gredos, entre les Batuecas et les Hurdes.

Renaud Camus, L’épuisant désir de ces choses, P.O.L., pp. 117-118.

David Farreny, 11 fév. 2006
raurait

Le nuage songeait à sa pluie tombée, à la ravoir, et qu’il la raurait ;

Henri Michaux, « Mes rêves d’enfant », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 62.

David Farreny, 12 mars 2008
automne

Le sentier venait de sortir à ciel ouvert et de retrouver le bord du lac, la lumière grise de la surface. Dans l’eau, les pentes de la montagne s’emboîtaient dans leur propre reflet comme dans un jeu de construction merveilleux qui faisait hésiter sur le niveau réel de la surface. Le ciel, d’un gris très clair, semblait collé au fond comme une lentille. Tout en bas de ce retournement vertigineux, on voyait l’antenne de la station de transmission qui permettait aux habitants de l’Altefrau de bénéficier de la télévision et qui arrosait les vallées et les zones montagneuses.

Il y avait un silence énorme, une humidité froide. Des nuages fins comme une gaze salie recouvraient les sommets. On sentait à l’œuvre cette immobilité du temps propre à l’automne, ce pourrissement propre à l’automne, les plantes s’exténuant doucement sous la roche.

Dominique Barbéris, Beau Rivage, Gallimard, p. 70.

David Farreny, 16 août 2010
revendiquer

Je suis debout sur la plate-forme du tramway et je suis dans une complète incertitude en ce qui concerne ma position dans ce monde, dans cette ville, envers ma famille. Je serais incapable de dire, même de la façon la plus vague, quels droits je pourrais revendiquer à quelque propos que ce soit. Je ne puis aucunement justifier de me trouver ici sur cette plate-forme, la main passée dans cette poignée, entraîné par ce tramway, ou que d’autres gens descendent de voiture et s’attardent devant des étalages. Personne, il est vrai, n’exige rien de tel de moi, mais peu importe.

La voiture s’approche d’une station, une jeune fille s’avance vers le marchepied, prête à descendre. Je la vois aussi nettement que si je l’avais touchée du doigt. Elle est vêtue de noir, les plis de sa jupe sont presque immobiles ; son corsage est ajusté, avec une collerette de dentelle blanche à petites mailles ; la main gauche est à plat contre la paroi de la voiture ; de la main droite, elle appuie son parapluie sur la deuxième marche. Son visage est hâlé ; son nez, légèrement pincé, est large et rond du bout. Elle a une abondante chevelure brune, un peu ébouriffée sur la tempe droite. Elle a l’oreille petite et bien plaquée ; mais, comme je suis tout près, j’aperçois de derrière tout le pavillon de l’oreille droite, ainsi que l’ombre qu’il porte près de sa racine.

Je me suis demandé ce jour-là : d’où vient qu’elle ne s’étonne pas d’être comme elle est, qu’elle garde la bouche close et ne dise rien de tout cela ?

Franz Kafka, « Le voyageur du tramway », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 109-110.

David Farreny, 19 nov. 2011
fond

Voilà. Des années ont passé. Nous vivons ensemble dans une maison en dur, j’ai réussi, j’ai une vraie maison toute dure. Francis est parti, et nous sommes tous les deux. Et alors, quoi ? Je m’ennuie. Le mot est faible. C’est évident que je m’ennuie. L’amour pour moi s’est toujours déroulé en trois phases fatales : découverte, habitude, lassitude. Et c’est fini. Chaque fois que je me suis mis à vivre avec une femme, je me suis retrouvé un jour à me dire sur ma natte : « Pop, ce que tu t’emmerdes, au fond. Demain tu la quittes. »

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 81.

Cécile Carret, 9 mars 2012
soudain

J’ai fini par prendre une douche d’où je suis sorti nu, ayant oublié que les fenêtres l’étaient tout autant, et me retrouvant devant la vitre, face à une jeune fille qui, à la fenêtre d’en face (la salle de bains donnant sur une rue assez étroite), me regardait sans sourciller. Je ne cherchais pas à couvrir une nudité qui, d’une certaine façon, me protégeait plus que si j’avais caché sous une serviette mon corps de quasi-quinquagénaire : elle signalait ma bonne foi, cette nudité, surtout en pays luthérien, naguère réputé pour la liberté de ses mœurs et aujourd’hui politiquement correct, comme le reste de l’Europe, ma nudité attestant aussi bien de mon innocence, laquelle me donnait envie de sourire, sans que ce sourire en amenât un sur les lèvres de la jeune fille qui se tenait debout, comme moi, les bras ballants, ses cheveux raides et blonds mangeant un visage dont elle appuyait le front sur la vitre, j’allais dire sur la nuit, de sorte que je ne pouvais voir si elle était jolie, son attitude me le suggérant néanmoins et mon sexe se dressant peu à peu, presque douloureusement, comme s’il en appelait non pas aux paumes ouvertes de la jeune fille ni à sa bouche ou à son ventre, mais à la nuit claire et glaciale, que je désirais soudain heureuse.

Richard Millet, La fiancée libanaise, Gallimard, p. 376.

David Farreny, 27 sept. 2012
détours

Puis la femme cria à l’adresse des enfants qui se tenaient détournés l’un de l’autre comme devenus ennemis – le gros garçon plutôt triste : « Hé, les enfants, faites la paix ! »

Le gros garçon sourit, délivré, et tous deux, tête baissée, il est vrai, se dirigèrent par des détours, l’un vers l’autre.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 75.

Cécile Carret, 30 juin 2013
indiquaient

Les crochets aux volets de fenêtres ne se contentaient plus de pendre, ils indiquaient des directions.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 44.

Cécile Carret, 3 août 2013
amont

À ce goût immodéré des spéculations sur l’origine, je reconnais d’ailleurs que je ne suis pas un vrai romancier, plus intéressé celui-ci par la fiction de l’avenir, par l’imbroglio des péripéties conçues pour être dénouées ; le roman, tendu vers la fin, obéissant au principe de réalité funeste qui ordonne déjà nos existences.

Je préfère creuser en amont, remonter vers la source, le risque est moindre d’y rencontrer la mort. Des éclosions, au contraire, des épiphanies, des naissances. L’espoir même ne serait-il pas plutôt de côté-là du temps ? Tous ces petits œufs qui se fendillent !

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 64.

Cécile Carret, 10 fév. 2014
sociale

Tolérer jusqu’aux idées stupides peut être une vertu sociale ; mais une vertu qui tôt ou tard reçoit son châtiment.

Nicolás Gómez Dávila.

David Farreny, 22 mars 2024

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