sache

Je ne sache pas qu’il y ait un sens à la vie.

Pierre Bergounioux, La casse, Fata Morgana, p. 9.

David Farreny, 23 mars 2002
satisfaisant

L’idée d’une maison faite pour que les gens se perdent est peut-être plus étrange que celle d’un homme avec tête de taureau, mais les deux s’ajoutent et l’image du labyrinthe convient à l’image du Minotaure. Il est satisfaisant qu’au centre d’une maison monstrueuse soit un habitant monstrueux.

Jorge Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires, Gallimard, p. 154.

David Farreny, 24 mars 2002
chaînes

Pour la plupart, nous apprécions l’amour de nos semblables, au titre de reconnaissance nécessaire ou de divine surprise. Nous avons été élevés pour ça, d’une façon ou d’une autre, selon la voie du manque ou celle du trop-plein, peu importe, au bout du compte nous aimons être aimés, et nous aimons aimer, à tort et à travers et à nos dépens, mais enfin avec entêtement, avec récidive et avec préméditation. L’amour nous plaît, son bruit de chaînes et ses fruits de saison. Et tant mieux. Rien n’est plus désolant que de détester l’amour.

Marie Desplechin, Sans moi, L’Olivier, p. 10.

Élisabeth Mazeron, 3 sept. 2002
remarque

Je remarque que la douleur abrutit, abêtit, écrase.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 119.

David Farreny, 24 mai 2003
inédite

On y reviendra à cette évidence toujours à redire, et en particulier à propos du scandale, pierre d’achoppement de la déroute, car il se joue là un phénomène étrange, touchant au mystère même d’écrire, qui est qu’une métaphore n’atteint sa toute-puissance que lorsqu’elle est concrètement inédite, entraînant dans un même mouvement l’écrivain et son lecteur sur les terra incognita de cet univers infini qu’est la langue. Serait-elle neuve à l’oreille du lecteur, une métaphore préexistant à l’écriture d’un texte ne sera jamais qu’une métaphore tirée à blanc ; ce n’est pas seulement la lecture qui en est faite qui lui donne sa puissance de déflagration dans la langue, cela se joue en amont, à l’instant du surgissement dans l’écriture, comme s’il fallait qu’il y ait eu déflagration éprouvée par l’auteur au moment de l’écriture pour que le lecteur la ressente à son tour. Qu’il en soit ou non le créateur, un écrivain répétant une métaphore, quand bien même celle-ci serait inconnue du lecteur, provoquera peut-être de l’intérêt, de l’adhésion, du plaisir (celui-là même que l’auteur a pris à la répéter), mais pas ces étincelles mystérieuses qui jaillissent entre auteur et lecteur du plus obscur de la forge individuelle où se travaille la langue de tous.

Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 20.

Cécile Carret, 26 août 2009
en-face

Les résistances qui s’opposaient à mon cheminement dans la vie portaient des noms de personnes. Je me heurtais à des visages, à des corps — à des voix, surtout, dispensatrices d’ordres, de conseils, de menaces et accablantes d’un savoir qui n’était pas le mien et fertiles en jugements péremptoires contre lesquels je n’avais que ma solitude comme puissance de désaveu. Mais tout cela, au jour le jour, dans la continuité tendue d’un temps que je m’efforçais de dominer, constituait un en-face par rapport auquel je me situais, fût-ce même par ailleurs pour louvoyer et composer à travers de misérables entreprises quotidiennes de séduction (cherchant constamment à plaire pour me concilier les puissances du jour). En cela, mon adhésion à la vie ne différait pas de ce qui se passe chez n’importe quel jeune homme passé, présent et à venir.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 45.

Élisabeth Mazeron, 13 mars 2010
meubles

J’habite à Blège, m’a-t-il dit, à quinze kilomètres d’ici. Je suis en vacances mais je ne pars pas. Je viens d’apprendre que je suis recalé au bac. (Il a fait un geste de la main.) Je sais. J’ai une vieille histoire avec ça.

Il ne l’avait visiblement pas dit à tout le monde. J’appréhende de rentrer chez moi, a-t-il enchaîné. Je me sens nul, vous voyez ? Oui, ai-je dit, je vois, mais ça n’a rien de honteux. Je l’ai raté aussi, à l’époque.

Il avait l’air extrêmement songeur. Comme s’il revoyait passer devant ses yeux l’entièreté d’une matière. J’ai pensé à la géographie, qui n’a jamais été mon fort. Je lui ai demandé s’il vivait seul. Oui. Pas d’enfants ? Non. Il avait tout de même peur de rentrer chez lui. C’était presque pire. Une sorte d’effet de miroir, ou de mise en relief. Il m’a parlé de ses meubles. Il craignait de retrouver ses meubles. Je lui ai demandé, un peu pour causer, si ses meubles avaient quelque chose de spécial. Je ne crois pas, a-t-il dit. Mais il faudrait que j’en change. Il s’est fait un silence, ici, et je lui ai dit que je comprenais.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, pp. 15-16.

David Farreny, 22 sept. 2011
passer

La fille était dans la même position que lui, je ne pouvais pas faire autrement que de voir son pubis, et j’ai été content de remarquer que sa conformation ne me convenait pas, j’avais acquis des goûts pointus dans ce domaine, avec le temps, ou peut-être que je me racontais des histoires, que c’était un prétexte, qu’importe, mon désir était en train de passer et du reste j’avais l’impression, soudain, d’avoir fait le tour de la question.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 24.

Cécile Carret, 26 sept. 2011
tension

Je me sentais clairement ici — à une baisse de tension qui n’était pas le calme de la campagne, à un début d’engourdissement encore plaisant de l’imagination et de la curiosité — sur les lisières du monde habitable : une vie petite, un peu décolorée, un peu falote, pour laquelle l’espace semblait trop grand, la journée trop longue, bougeait à faible bruit sur ces marges crépusculaires ; les sons venaient frapper l’oreille, affaiblis, ouatés, espacés, comme quand on débarque au Montanvers — la grand’route qui traversait l’Elf sur son pont de ciment bifurquait au fond de la perspective sous une ligne de panneaux indicateurs qui semblaient concerner déjà l’enjambement d’un espace abstrait, des liaisons aériennes plutôt que routières : Haparanda — Finlande : 400 kms — Kiruna : 600. Bien avant quatre heures du matin, à travers mes rideaux le jour me réveillait ; je me levais et j’allais à ma fenêtre : une vive et blanche lumière de limbes, sans un chant d’oiseau, sans un bruit de voiture, éclairait la place vide, évacuée avec la nuit par les occupants de son parking, et où pour trois heures encore, dans le jour grand ouvert et pourtant déserté comme un œil de nocturne, nul signe de vie n’allait bouger.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 235-236.

David Farreny, 20 oct. 2014
après-demain

Je ne sais pas ce que me réserve demain ; mais pour après-demain, il n’y a vraiment aucun suspense.

Éric Chevillard, « lundi 23 mai 2022 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024
agrément

Les penseurs tristes ne nous guérissent pas de l’inconfort d’être nés. Leur esprit aère le nôtre en en chassant le Sérieux. Les penseurs de la joie, qui ne sont pas forcément joyeux, nous vantent le rire. Les penseurs tristes qui ne sont pas pour autant des penseurs de la tristesse nous rendent le sourire. Le rire des premiers dépend du hasard. Le sourire des seconds vient de leur humour, qu’il soit froid, noir ou terroriste — raison pourquoi nous avons toujours de l’agrément à rouvrir leurs ouvrages au moindre coup de mou.

Frédéric Schiffter, « préface », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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