pelucheux

Au-delà du périphérique, assez loin mais bien visible, une enseigne lumineuse tourne sur elle-même, bleue, au sommet de la tour Pleyel. D’autres enseignes couronnent la plupart des immeubles situés entre le boulevard extérieur et le périphérique. Le long de l’avenue, c’est plutôt le rouge qui domine — le rouge de Bosch ou celui de Firestone —, mais dès que l’on s’engage dans la rue Félix-le-Croisset, sous les acacias d’où émane en saison une sorte de foutre pelucheux, on pénètre temporairement dans un espace plus confiné, baigné par les publicités Samsung, Panasonic ou Daïkin d’une diffuse et sourde lumière bleue. Cet environnement bleu, de concert avec les émulsions de foutre d’acacia, favorise après quelques minutes d’immersion l’apparition de sensations aquatiques.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 50.

Guillaume Colnot, 13 avr. 2002
pays

Ah fromage voilà la bonne madame

Voilà la bonne madame au lait

Elle est du bon lait du pays qui l’a fait

Le pays qui l’a fait était de son village

Ah village voilà la bonne madame

Voilà la bonne madame fromage

Elle est du pays du bon lait qui l’a fait

Celui qui l’a fait était de sa madame

Ah fromage voilà du bon pays

Voilà du bon pays au lait

Il est du bon lait qui l’a fait du fromage

Le lait qui l’a fait était de sa madame

Benjamin Péret, « Le grand jeu », Œuvres complètes (1), Éric Losfeld, p. 71.

Guillaume Colnot, 27 mars 2003
repos

La mort est le repos, mais la pensée de la mort trouble tout repos.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 128.

David Farreny, 24 mai 2003
rôle

Ce qui se passe, parfois, nous dépasse infiniment. On ne comprend rien au rôle qu’on va jouer. On n’a aucune idée de ce qu’on atteint, sollicite ou qui, à notre insu, nous meut, dirige les actes téméraires, qu’on se surprend à esquisser, enchaîner sans qu’il semble qu’on y ait de part. Tout ce qu’on peut faire, c’est de rester à peu près à l’endroit qu’ils délimitent, de les accompagner dans leur progrès, dans leur déplacement sans égard à ce qu’ils peuvent bien signifier puisqu’on ne comprend pas. On ne comprendra peut-être jamais. On n’a pas l’âge ou le temps. Ce n’est pas le moment. Il n’est pas très important que nous sachions. Il vaut peut-être mieux ne pas. On ne ferait jamais ce qui nous incombe si l’on savait ce que l’on est en train de fabriquer. On choisirait sans hésiter l’autre terme de l’alternative, la possibilité toujours ouverte de renoncer, de s’abstenir. Ça va même plus loin. Après, quand on a récupéré ses actes, ses paroles, que c’est un peu les nôtres, on se méfie de l’épisode tourbillonnant où ils nous devançaient, où l’on tentait désespérément de les suivre. On n’est pas sûr qu’ils aient eu lieu. Il pourrait s’être passé tout autre chose que ce que l’on croit, maintenant. Il pourrait ne s’être rien passé si, quand même, l’endroit où l’on émet cette supposition n’était le même. C’est que le temps a passé. Il a fini par paraître normal, presque, qu’on y soit.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 52.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
voyais

Cathy, que l’adversité stimule, entre dans le roncier avec une vigueur issue (j’imagine) de la Sibérie orientale, de sa lointaine ascendance bouriate ou mandchoue. J’admire, discrètement, l’assortiment unique d’énergie et de grâce, de fraîcheur et de feu, de pudeur, de modestie, de bonté, de force d’âme qu’il a plu aux puissances occultes de composer avec le soin infini dont elles étaient capables avant de le placer sur ma route désastreuse, il y a exactement trente ans. Je n’avais absolument rien à offrir en échange, hormis ceci : je voyais. J’avais quatorze ans et j’ai vu, tout, d’emblée, sans que rien m’échappe, avec le ferme dessein d’en tenir le plus grand compte.

Pierre Bergounioux, « mardi 20 juillet 1993 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 316.

David Farreny, 20 nov. 2007
vide

Tu n’avais pas encore admis que la littérature n’est pas possible. Ce que tu barbouillais n’avait rien de réel, tout simplement. Ça ne correspondait à rien, ça n’entrait pas dans le monde. À chaque fois que tu te mettais à écrire, tu sentais douloureusement à quel point toi, assis devant ton écran d’ordinateur, alignant des mots, tu n’accrochais plus à rien. Ça tournait à vide.

Que faire avec ce vide de ton esprit ? Il n’y avait rien, il n’y a toujours rien en toi, un peu de froid, des passages nuageux, des pluies fines. Eh oui, il n’y a rien à dire, il n’y a jamais rien à dire. Le monde est là, tout autour, neutre. On mange et l’on s’habille. On est toujours avec soi-même. On fait les courses à la supérette. On dort. Tout est normal. Que faire avec tout ça, en fait de littérature ? La littérature n’a aucune place dans ce monde. Comment ne pas mentir ? Comment écrire sur un écran des mots qui ignorent la banalité de cette pièce, le poids des viandes dans le ventre, la grande indifférence en soi qui digère tout ? Il faudrait dire ce froid et cette indifférence. Mais avec quels mots ? Prendre les choses, les choses bêtes, les choses plates, et les rendre transparentes comme l’esprit.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 244.

Élisabeth Mazeron, 5 nov. 2009
lyophilisée

À ce moment, Nayadja Aghatourane m’interpella. Comme elle avait fêté son bicentenaire seulement vingt-sept ans auparavant, c’était la plus jeune des tireuses d’élite.

— Resurgir plus tard dans leurs rêves, étais-je en train de dire.

Elle se redressa, elle décroquevilla sous la lune sa forme jusque-là blottie dans les touffes de ginseng et de boudargane. Je vis émerger en haut d’un monticule son misérable manteau de marmotte, dont, à contre-obscurité, il n’était guère possible de détailler les nombreux rapiéçages et les enjolivures vermillon et les slogans magiques en ouïgour, et j’aperçus sa tête minuscule, comme lyophilisée par la vieillesse, cette petite masse de cuir granuleux et chauve dont la partie inférieure reflétait les étoiles quand des mots s’en échappaient, car elle était renforcée par un dentier de fer.

Une affection spéciale me liait à Nayadja Aghatourane. Je n’avais pas oublié que, lors de ma gestation dans la maison de retraite, quand j’étais caché, imparfaitement conçu, sous le lit de telle ou telle des vieilles comploteuses, elle avait été l’unique grand-mère de la bande à songer qu’il fallait répéter en ma direction des contes pour enfants plutôt que seulement les classiques du marxisme.

— Scheidmann, cria-t-elle, qu’est-ce que c’est que ces narrats étranges avec quoi tu nous embobines ? Pourquoi étranges ?… Pourquoi sont-ils étranges ?

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 95.

Cécile Carret, 11 sept. 2010
cinquantaine

Quand on pense à la cinquantaine qui guette les premiers hippies, le cœur se serre.

Paul Morand, « 16 octobre 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 635.

David Farreny, 23 sept. 2010
on

On s’étonne aussitôt que Marconi soit parvenu à ses fins par des moyens si simples. On s’interroge sur lui. On ignore qu’il n’a fait qu’user habilement d’un des brevets, le n° 645.576, déposé par Gregor quelques années plus tôt mais insuffisamment protégé. On n’a pas le moyen de savoir que ce brevet a été anonymement posté à Marconi. Le saurait-on qu’on pourrait se demander, en étudiant l’adresse manuscrite sur l’enveloppe qui le contenait, si ne s’y distingueraient pas des points communs avec l’écriture d’Angus Napier. Même si, quarante-deux ans plus tard, la Cour suprême reconnaîtra l’antériorité des travaux de Gregor en matière de transmission radio, en attendant, quarante-deux ans plus tôt, c’est encore un sale coup pour lui.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 121.

Cécile Carret, 11 oct. 2010
contradiction

La matière est, par suite, en premier lieu, de façon essentielle, elle-même pesante ; ce n’est pas là une propriété extérieure, aussi séparable d’elle. La pesanteur constitue la substantialité de la matière, celle-ci elle-même est le fait de tendre vers le centre, qui, toutefois — et c’est là l’autre détermination essentielle — tombe en dehors d’elle. […] Mais le centre n’est pas à prendre comme matériel ; car l’être matériel consiste précisément dans le fait de poser son centre hors de soi. Ce n’est pas ce centre, mais ce fait de tendre vers lui qui est immanent à la matière. La pesanteur est, pour ainsi dire, la confession de la nullité de l’être-hors-de-soi de la matière dans son être-pour-soi, de sa non-subsistance-par-soi, de sa contradiction.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « La mécanique finie », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 205.

David Farreny, 7 fév. 2011
situation

J’ai la rime – yack et kayak –, il me reste à trouver le lieu et la situation.

Éric Chevillard, « mercredi 10 février 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 9 mars 2016
ensuite

52 ans aujourd’hui. J’ai donc survécu à Molière, Balzac, Rilke, Proust et Artaud. C’est intéressant car ainsi nous allons savoir ce qu’ils auraient donné ensuite.

Éric Chevillard, « samedi 18 juin 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 juin 2016

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