encouragement

Ce que je veux dire, c’est… enfin… gardez-vous d’ignorer que nous ne sommes que des créatures issues de la poussière. Oui, c’est peu comme encouragement, il faut bien se mettre ça dans la tête. Mais cela dit et compte tenu somme toute d’un mauvais départ, les choses pourraient être pires. Aussi je suis persuadé en ce qui me concerne que même dans une situation aussi pourrie, nous saurons nous en tirer. Vous me saisissez ?

Philip K. Dick, Le Dieu venu du Centaure, Omnibus, p. 341.

Guillaume Colnot, 24 avr. 2002
idiotie

Le désir m’avait déserté depuis si longtemps que j’avais le sentiment d’avoir tout à réapprendre. Une petite étincelle se rallumait, là, dans mon ventre. Ce n’était certes pas l’annonce d’une déferlante, aussi n’entrepris-je pas l’externe, doutant de la solidité de mon assise. Mais j’aurais pu le contempler pendant des heures, descendre grâce à lui aux confins de l’idiotie, là où le désir ne peut conduire qu’au désir, et la fin du désir à un nouveau désir. Je ne crois pas que ce garçon ait eu en main toutes les cartes pour deviner à quelle sauce j’étais en train de le manger, mais il avait assez de jeu pour comprendre qu’il était investi d’une mission qui dépassait de beaucoup ses attributions médicales. Avec infiniment de tact il endossa ses habits de modèle de mes rêveries, et quand son enquête, objet premier de sa visite fut achevée, il flotta encore quelques instants, souriant et indécis, me laissant un peu de temps pour redescendre sur terre, puis prit congé, content d’avoir joué un rôle, même sans savoir lequel. Un beau brin d’externe, vraiment.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 50.

Élisabeth Mazeron, 13 oct. 2007
est-ce

Aimer quelqu’un à partir de sa mort, est-ce de l’amitié ?

Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 16.

Cécile Carret, 22 mars 2008
résonance

Claudette, qui travaillait au laboratoire où elle avait table, crayon et papier, entreprend de réécrire Le malade imaginaire, de mémoire. Le premier acte achevé, les répétitions commencent.

J’écris cela comme si ça avait été aussi simple. On a beau avoir une pièce bien en tête, en voir et en entendre les personnages, c’est une tâche difficile à qui relève du typhus, est constamment habité par la faim. Celles qui pouvaient aidaient. Une réplique était souvent la victoire d’une journée. […] L’émulation jouait aussi, et la fierté. Il s’agissait de montrer aux Polonaises, avec qui nous étions, et qui chantaient si bien, de quoi nous étions capables.

Chaque soir, battant la semelle et battant des bras – c’était en décembre – nous répétions. Dans l’obscurité, une intonation juste prenait une étrange résonance.

Charlotte Delbo, Auschwitz et après (2), Minuit, p. 91.

Cécile Carret, 27 août 2009
pitié

je fume une cigarette

tout nu dans mon lit

la nuit est tombée

le réveil fait tic-tac

j’entends des pas dans l’escalier

des voix qui s’engueulent

des bruits de radio de télé

un robinet qui coule

l’amour attend blotti

dans mes deux couilles

j’ai envie de baiser ce soir

mais le téléphone sonne absent

la ville aura-t-elle

pitié de moi ?

William Cliff, Marcher au charbon, Gallimard, p. 95.

David Farreny, 20 déc. 2009
droit

Comme ils arrivaient sur moi, nus avec des gouttelettes sur la peau qui accrochaient le soleil, j’ai eu envie de la fille, et de me baigner aussi, j’avais chaud et j’étais surpris par le désir, mais je n’étais pas certain que ça m’aurait conduit où que ce soit, et je me suis contenté de les regarder venir, en détaillant discrètement la fille et en essayant de faire abstraction du type, notamment en espérant lui faire comprendre que sa nudité à lui ne m’intéressait pas du tout et même que je la trouvais répréhensible, que j’associais à sa désinvolture, mais que la fille c’était différent, elle avait droit à mon pardon.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 23.

Cécile Carret, 26 sept. 2011
opposer

Il y avait bien un village, tout près, jusqu’où il m’eût amusé de pousser, surtout à cause de son nom, Aureille, mais j’ai eu peur d’être déçu. En même temps, je n’attendais rien de spécial de quoi que ce soit, et, si j’évoque ici la crainte que je pouvais nourrir une déception, ce n’était pas réellement par rapport à un enjeu. Je n’attendais rien en vérité d’un village comme Aureille. Ce que je veux dire, c’est que si j’avais été dans un état normal, légèrement porté par la vie, par exemple, j’en aurais probablement attendu quelque chose, et c’est par rapport à ce quelque chose en soi que j’avais peur d’être déçu. Pas pour moi, donc, ni pour Aureille. Mais pour ce que cette déception, objective, en somme, aurait signifié de négatif et, partant, d’inutilement noir, comme une preuve de refus que peut opposer le monde. Je ne voulais pas être, non la victime, mais le témoin de ça. Je suis donc rentré.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 134.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
continuum

Cette situation inédite, il faudra se résoudre un jour à l’affronter, au lieu d’en refouler les signes criants sous une boulimie culturolâtre qu’attise la croissance sans limites de sa pâture : davantage de romans à chaque rentrée littéraire, davantage de films d’une saison à l’autre sur les écrans, davantage de créations plastiques disséminées dans les espaces les plus improbables – la perpétuelle surenchère de l’actualité tenant lieu, à elle seule, de bilan de santé euphorique. Inféodée à cette actualité autodévoratrice, la critique ne peut plus ou ne veut pas voir que le sol manque sous nos pieds depuis plusieurs décennies, et que la reconstitution d’une terre ferme n’est manifestement pas à l’ordre du jour. Cet aveuglement est la clé de son pouvoir, la condition du maintien de son existence. S’il y a bien un postulat vital de la critique actuelle, c’est que nous baignons dans un merveilleux continuum créateur, jamais distendu, jamais affaibli, dont la richesse multiforme, omniprésente, nous met en demeure d’être toujours plus vigilants, plus attentifs et plus curieux. L’immense majorité des comptes rendus de livres, de films, de spectacles ou d’expositions peut ainsi être lue, par delà l’affirmation de goûts et de dégoûts où seuls les nigauds voient encore des lignes de force et d’opposition, comme une bénédiction accordée à ce flux culturel délirant qui défie toute capacité d’absorption humaine. Et, plus grave, comme une occultation des seules questions qui vaillent vraiment : celles qui touchent à la tenue et à la consistance de notre présent, à l’apport réel de ces « œuvres » oubliées aussitôt qu’encensées, à la possibilité que garde ou non le travail créateur de s’inscrire dans le devenir collectif. Il ne reste quasiment plus d’espace ni de temps pour ces questions aujourd’hui. Et il y a quelque chose de pathétiquement cocasse à voir défendre les droits imprescriptibles de l’Art, de la Littérature et de la Culture contre les forces diaboliques du néo-libéralisme, là même où le jeu complice des créateurs et de leurs commentateurs béats s’inscrit dans une logique indiscutée de croissance folle, d’accélération vertigineuse de l’offre et de pullulement des bulles spéculatives à force de valorisations extravagantes. Le jour où la critique sera capable de casser ce jeu infernal par un acte public de sabordage, on pourra commencer à lui accorder un peu de crédit.

Pierre Mari, Orgueil critique.

David Farreny, 14 déc. 2012
muet

Au fait, est-ce que tu as vu hier à la télévision le reportage sur les personnes seules ?

La femme : « Je ne me souviens que du moment où l’interviewer a dit à quelqu’un : “Racontez donc une histoire de solitude !” et l’autre est resté muet. »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 40.

Cécile Carret, 26 juin 2013
petit

Même le diariste le plus présomptueux en vient à douter de l’intérêt que représentent ces pages envahies par le désarroi des sentiments, par l’absurdité quotidienne, par l’effort, presque toujours vain, de retenir une existence qui va à vau-l’eau. Lorsque le jeune Boswell demande à l’illustre Samuel Johnson s’il valait vraiment la peine de noter dans ses carnets de si « petites » choses, ce dernier lui répondit avec superbe : « Dès lors qu’il est question de l’homme, rien n’est jamais trop petit. » Ce pourrait être le premier commandement du diariste, le second étant : « Nulla dies sine linea », une façon comme une autre de dresser une barrière entre le néant et soi, en s’enfermant dans un cercle qui rétrécit d’année en année, jusqu’à la réclusion totale.

Roland Jaccard, « Les idoles du néant », La tentation nihiliste, P.U.F., pp. 116-117.

David Farreny, 9 déc. 2014

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