Dégoût de ce qui est fait, de l’opera omnia. Sensation d’être en mauvaise santé, de déchéance physique. Courbe déclinante. Et la vie, les amours, où sont-ils ? Je conserve un certain optimisme : je n’accuse pas la vie, je trouve que le monde est beau et digne. Mais je tombe.
Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 451.
Le don de soi est le secret pour traverser l’affolant.
Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 420.
Passant éphémère, tiré du néant sans borne qui règne en deçà et au-delà de soi, comme d’un sommeil de plomb auquel on retournera pour toujours, l’on est vite persuadé que, si le monde existe bel et bien, c’est sur un fond insondable d’inexistence, comme un rêve bon ou mauvais surnage et puise sa force suggestive de cette perte de conscience généralisée. Né sous un mauvais signe assurément, celui de l’absence de sens et de la fin absolue de tout, il y a, paraît-il, de la force et de la noblesse, bien vaines à coup sûr, à rester sur le pont coûte que coûte quand tout sombre irrémédiablement autour de soi et que l’on sait qu’il n’y aura pas de main secourable.
Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 67.
les brouillards de la Mer du Nord viennent nous refroidir
alors nous nous levons dans nos corps en attente
et sortons nos crânes pourris de leurs vieilles soupentes
pour les lancer sur le pavé de la ville endormie
il y a dans cet air comme une odeur de brasserie
comme si le fumet des germoirs partout dans la ville
se répandait ce soir pour regonfler nos nerfs débiles
et nous faire entrevoir des plaisirs à n’en plus finir
vers les trois ou quatre heures du matin un pauvre bougre
ira pisser sur ses souliers en regardant comment
la lune étend son sang dans la nuit qui s’entrouvre
au cri perçant du premier merle enroué mais ne ment-
il pas ? est-ce vraiment le jour qui là-bas monte et bouge ?
ah ! quelle horreur ce temps qui tourne inexorablement !
William Cliff, Autobiographie, La Différence, p. 101.
Dans la banalité homogène des heures solitaires, mi-laborieuses mi-rêveuses, entre mon lit, ma table de travail et le mur qui me faisait face, je jouissais intimement du caractère profondément répétitif de mes occupations. D’une certaine façon, elles avaient toutes le caractère et le sens d’un rite. C’est ainsi qu’elles s’entouraient de précautions et de préliminaires destinés à me rendre maître d’une zone neutre de l’espace et du temps au-delà de laquelle seulement pouvait se dérouler une action telle, par exemple, que la lecture ou l’écriture ou la mise en ordre périodique de mes documents. En somme, les heures les plus remplies nécessitaient toujours une importante part de vide.
Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 17-18.
Les heures ne cardaient leur laine et la rivière
ne coulait sous les ponts
que pour sonner en moi, au chœur de l’éphémère,
les voix et les répons.
Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 212.
À quelle bouffée d’illusions dois-je cette dégaine exceptionnellement insouciante aujourd’hui ? J’ai la déconcertante impression d’être un autre.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 167.