treuil

Il avait toujours rêvé de n’être relié au monde que par un regard immobile et tenu, comme un filet d’eau qui ne tombe pas, ne se divise pas, mais renouvelle son équilibre et son silence. On ne le sut qu’après : son regard était un câble enroulé au treuil du fond des vases.

Michel Besnier, Un lièvre en son gîte, Folle Avoine, p. 75.

David Farreny, 24 mars 2002
fixations

On se découvre alors des fixations farouches. Des choses ridicules — mes lunettes de lecture, un mouchoir, un certain instrument pour écrire — polarisèrent ma possessivité démente. Égarer provisoirement l’un d’eux me remplissait d’un désarroi frénétique, chacun de ces objets étant le rappel tactile d’un monde voué à bientôt s’effacer.

William Styron, Face aux ténèbres. Chronique d’une folie, Gallimard, p. 91.

Guillaume Colnot, 15 mai 2002
prétexte

Certains s’abandonnent sans nourriture sur un radeau solitaire ; d’autres vont chercher l’isolement dans la montagne, exposés aux bêtes féroces, au froid et à la pluie. Pendant des jours, des semaines ou des mois selon le cas, ils se privent de nourriture : n’absorbant que des produits grossiers, ou jeûnant pendant de longues périodes, aggravant même leur délabrement physiologique par l’usage d’émétiques. Tout est prétexte à provoquer l’au-delà : bains glacés et prolongés, mutilations volontaires d’une ou de plusieurs phalanges, déchirement des aponévroses par l’insertion, sous les muscles dorsaux, de chevilles pointues attachées par des cordes à de lourds fardeaux qu’on essaye de traîner. Quand même ils n’en viennent pas à de telles extrémités, au moins s’épuisent-ils dans des travaux gratuits : épilage du corps poil par poil, ou encore de branchages de sapin jusqu’à ce qu’ils soient débarrassés de toutes leurs aiguilles ; évidement de blocs de pierre.

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, p. 38.

David Farreny, 29 nov. 2003
lâchent

Mais mes identités me lâchent avant la fin de mes phrases.

Renaud Camus, « samedi 26 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 79.

David Farreny, 30 juil. 2005
succincte

Et je contemple les plans de certaines villes de second rang,

Et leur description succincte, je la médite.

Valery Larbaud, « Poésies de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 72.

David Farreny, 10 août 2005
hiver

Recensement ininterrompu

reprenons

le toit l’arbre

le ciel le toit

l’arbre le ciel

tous mes possibles

rentrez vite

la vie vous mangerait

j’attends la neige

qui prouve le miracle

mais l’été est bref

comme un coït

et l’hiver ne chatoie

que dans un très vieux

livre imprimé

chez Mame

Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 25.

David Farreny, 20 août 2006
horizon

Même si bien peu l’admettent, et si personne ne s’en satisfait, chacun pressent que le nihilisme est notre horizon indépassable. Les grandes fictions religieuses, métaphysiques ou politiques ne suscitent plus que railleries ou dédain. Parfois la jeunesse s’en empare, dans l’impatience d’être grisée par les concepts ou les slogans qui hypnotisèrent leurs aînés. Les vieux s’en accommodent d’autant plus volontiers qu’ils ne disposent pas de rhétorique de rechange. Mais, à l’exception des quelques épileptiques de service, nous nous accordons à penser, avec Ludwig Wittgenstein, qu’au moment où notre bêche heurte le roc de l’injustifiable, il est inutile de chercher à creuser davantage.

Roland Jaccard, « Les adultères de la raison », La tentation nihiliste, P.U.F., pp. 4-5.

David Farreny, 9 déc. 2014
abstraits

Plaisirs de la chère et de la chair font des souvenirs très abstraits. La mémoire est une archiviste frugale et frigide.

Éric Chevillard, « lundi 7 octobre 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 2 mars 2024

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