langes

Ne plus chier dans les langes n’implique pas du tout Shakespeare, Molière et Paul Claudel.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 26.

David Farreny, 14 avr. 2002
phrases

Voilà pourquoi le Prince ne régna point. Cette phrase est totalement absurde. Mais je sens en ce moment que les phrases absurdes donnent une intense envie de pleurer.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 24.

David Farreny, 9 fév. 2003
évidence

C’est pourquoi personne ne résiste. Happés avec douceur, mais happés irrésistiblement, ils glissent vers la chaude ouverture. L’idée de résistance ne s’offre pas véritablement à eux. Ils se laissent faire, saisis par l’évidence.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 162.

David Farreny, 4 mars 2008
enfoncé

J’ai préféré la solitude aux entraînements de la bavarderie, de la chasse, de la pavane, de tous les bruits à deux ou en bande. Au fond de mes maisons, au soir de journées devenues denses et lentes, je me suis enfoncé au plus profond et au plus sourd de moi, dans une sorte d’alerte ou de pétrification dont je ne supporte plus qu’on me tire à l’improviste.

Il existe dans ces tuyauteries auxquelles mes araignées normandes me font songer des détours, des dérivations que l’on dirait inutiles, bras morts des rivières obscures, parenthèses dans le discours muet. Il suffit de se pencher derrière un lavabo ou d’ouvrir la «  plaque de visite  » des baignoires pour découvrir ces cols de cygne en plomb, ces S majuscules où j’imagine que mes noiraudes espèrent trouver, à l’écart du grand collecteur, un refuge sûr. L’image me poursuit parce qu’elle contient tout ce qu’il faut pour exprimer ma sensation, qui est de m’enfoncer dans du noir, de l’humide, et de chercher ce coude étréci de mon souterrain où personne, jamais, n’aura l’idée de venir me traquer.

François Nourissier, Le musée de l’homme, Grasset, p. 214.

David Farreny, 26 avr. 2009
pensé

L’incident est futile (il est toujours futile) mais il va tirer à lui tout mon langage. Je le transforme aussitôt en événement important, pensé par quelque chose qui ressemble au destin. C’est une chape qui tombe sur moi, entraînant tout. Des circonstances innombrables et ténues tissent ainsi le voile noir de la Maya, la tapisserie des illusions, des sens, des mots. Je me mets à classer ce qui m’arrive. L’incident, maintenant, va faire pli, comme le pois sous les vingt matelas de la princesse ; telle une pensée diurne essaimant dans le rêve, il sera l’entrepreneur du discours amoureux, qui va fructifier grâce au capital de l’Imaginaire.

Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 83.

Élisabeth Mazeron, 9 déc. 2009
comme

Et à plat, toujours regagnant le plat, elle luisait comme une petite flaque. Mandex la prit et l’étala sur sa main à hauteur de leur visage et, tentant de l’y retenir mais sans l’attraper, il la vit glisser entre ses doigts, fuyant de tous côtés, doucement, toujours sans offenser, quittant les hauteurs comme de l’eau, du sable. Bien par terre, je ne suis bien que par terre. Sa tranquillité les apaisa comme une suprématie facile. Parce qu’ils ignoraient son usage, ils lui prêtèrent une profondeur psychologique, et pourquoi pas, un exemple à suivre.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 111.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
choisir

Il me semble que je suis heureux ; et cela doit bien signifier, au moins par comparaison, que je le suis (le bonheur n’étant sans doute qu’une impression). Pourtant, si je me réveille la nuit, c’est toujours avec une sourde inquiétude, une mélancolie sans forme, presque une angoisse, mais discrète, lointaine, à peine perceptible, quoique vigilante, et qu’on pourrait choisir de ne pas écouter.

Renaud Camus, « dimanche 30 novembre 1986 », Journal romain (1985-1986), P.O.L., p. 504.

David Farreny, 13 avr. 2011
coin

C’était un petit établissement d’angle, avec deux tables sur le trottoir. Entre les rares voitures qui passaient, on entendait le bruit d’un torrent. Un type est venu s’asseoir à l’autre table, il a commandé un café. Pendant un moment, il n’y a eu que lui et moi dans ce coin de village. Je me suis demandé s’il entendait le bruit du torrent, s’il l’écoutait. Il avait l’air passif. Il n’avait pas de bagage avec lui, pas de porte-documents, pas de sac à dos, il était habillé de façon neutre, comme moi – j’étais parti un peu vite. Je me suis dit qu’il devait sortir de sa voiture, lui aussi. Il avait le nez gros, l’œil aiguisé, de temps à autre il se passait un index sur les lèvres, à l’horizontale. La cinquantaine, peu de mâchoire. J’ai tenu un quart d’heure comme ça, puis c’est devenu insupportable.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 15.

Cécile Carret, 26 sept. 2011
carte

Ni l’un ni l’autre nous n’avions l’habitude de ces restaurants dont la carte présente une variété presque infinie. Ma femme surtout. Dans l’impossibilité de goûter simultanément à tout, elle ne parvenait pas à fixer son choix, ses yeux passaient d’un coin de la carte à l’autre, reflétant l’image coloriée de plats qui s’annulaient l’un l’autre, se mouillant, elle s’absorbant dans un rêve consultatif et silencieux, pendant que le garçon irrité tapait du pied devant sa chaise, se raclait la gorge avec une impertinence de plus en plus marquée et finissait par disparaître comme si on l’avait insulté.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 78.

Cécile Carret, 18 juin 2012
répandent

Pour pouvoir parler aux jeunes filles, j’ai besoin d’avoir des personnes plus âgées autour de moi. Le léger trouble qu’elles répandent donne de la vie à ma conversation, il me semble aussitôt que les exigences qu’on me pose sont diminuées ; si les paroles que je laisse échapper sans examen ne conviennent pas à la jeune fille, elles peuvent toujours être placées à l’intention de la personne plus âgée, auprès de laquelle je puis encore, quand cela devient nécessaire, aller chercher de l’aide en grande quantité.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 175.

David Farreny, 13 oct. 2012
singularité

La règle d’or : si le petit rien que tu possèdes n’a, en lui-même, rien de particulier, au moins dis-le avec un zeste de singularité.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 264.

David Farreny, 13 janv. 2015
intersection

Tous deux mentent allègrement ; à l’intersection de ce qu’ils ne se disent pas sur leurs désirs incompatibles, l’enfant paraît.

Philippe Muray, « 24 février 1990 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 299.

David Farreny, 29 fév. 2024

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