être

L’être est un non-sens, mais un non-sens qui a des dents.

Antonin Artaud.

Bilitis Farreny, 21 mars 2002
idiot

Volontaire ou non, la solitude est un état contre-nature. Imposée, elle dénote, de notre part, une inaptitude à composer, à s’ouvrir, à faire avec. Délibérée, elle couvre un refus, trahit une sécession. On ne partage pas, plus, les fondements de croyance de la communauté. L’homme est un animal politique, du social individué. Étymologiquement, l’idiot, c’est l’homme privé, solitaire. Lorsqu’on est seul à se défier du monde, c’est de soi qu’il faut se défier.

Pierre Bergounioux, « Entretien avec Thierry Bouchard », Compagnies de Pierre Bergounioux, Théodore Balmoral, p. 152.

David Farreny, 2 juin 2005
pouvait

C’était dur. Mais comme ces changements dans les habitudes de la dame s’adressaient sans aucun doute à lui, il y avait évidemment quand même un rapport entre eux, bien que sous une forme négative ; et cela pouvait suffire.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, p. 165.

David Farreny, 3 juin 2007
s’abîme

Après la fournaise de la route Salonique-Alexandropolis, le bonheur que c’est de s’asseoir devant une nappe blanche, sur ce petit quai aux pavés lisses et ronds. Pendant un instant, les poissons frits brillent comme des lingots dans nos assiettes, puis le soleil s’abîme derrière une mer violette en tirant à lui toutes les couleurs.

Je pense à ces clameurs lamentables qui dans les civilisations primitives accompagnaient chaque soir la mort de la lumière, et elles me paraissent tout d’un coup si fondées que je me prépare à entendre dans mon dos toute la ville éclater en sanglots.

Mais non. Rien. Ils ont dû s’y faire.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 89.

Cécile Carret, 8 sept. 2007
ciment

Dans les maisons sans sous-sol, malgré carreaux et tapis, les jambes sentent qu’elles s’appuient sur la terre, l’humidité traverse tout, les jambes se soudent aux genoux, ennui du ciment.

Paul Morand, « 18 mars 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 38.

David Farreny, 7 août 2010
espèce

Deux cerfs affrontés, leurs bois inextricablement imbriqués, secouent l’échine et tournent sur place sans parvenir à se dégager tandis qu’une espèce de daim dans le public susurre à l’oreille d’une biche des choses osées qui la font rire.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 49.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
femmes

tu te souviens Mon Cœur quand nous étions heureux ?

oui Mon Amour c’était il y a très longtemps

c’était quand nous avions ces femmes secourables

sur qui nous pouvions compter dans nos grands chagrins

il y avait alors du soleil au jardin

nous n’étions jamais seuls au moment du malheur

or aujourd’hui ces saintes femmes sont parties

la ville a envahi les jardins d’alentour

le bruit et la fumée des moteurs nous écrasent

et nous pleurons sans le secours de leur pardon

nous pleurons en sentant notre viande malade

comme un morceau jeté aux chiens des carrefours

et nous sommes si seuls ! dans cette ville atroce

seuls pour marcher sur son tarmac seuls pour aller

demander à la nuit de nous ouvrir sa fosse

alors qu’avant Mon Cœur nous vivions dans l’amour

secret et persistant de ces femmes fidèles

qui aujourd’hui hélas ! sont mortes pour toujours

William Cliff, « Les saintes femmes », Immense existence, Gallimard, p. 117.

David Farreny, 30 mai 2011
disparaître

Cette manière de saluer en s’inclinant en avant aussi bas que possible était enseignée aux petits garçons dès l’âge de trois ans. Elle marquait de façon presque irréversible les différences hiérarchiques sur lesquelles était pour une large part construite, non seulement socialement, mais jusqu’au sein des mentalités, l’Allemagne de la fin du XIXe siècle. Ce salut, le plus jeune le devait au plus âgé et le subordonné à son « supérieur ». Les petites filles, elles, exécutaient leur Knicks dans les mêmes conditions, elles fléchissaient genoux et chevilles, pour disparaître verticalement et réapparaître ensuite. Cette marque de respect s’est conservée jusqu’en 1968. Ce n’est que depuis cette date qu’on ne voit plus les enfants et les jeunes gens disparaître sous leur propre bras.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 45.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
prénom

Tous les prénoms ont été changés. Quoi de plus individualiste qu’un prénom ? Quoi de plus dangereux qu’une identité ? Une seule syllabe suffit bien, puisqu’il n’y a pas d’être.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 87.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
figuratif

Sur les dépliants d’époque, on voit bien la piscine construite sur le toit et dont le fond transparent permettait aux clients du centre commercial de voir les baigneurs […].

Par en dessous, elle a regardé la piscine de Cap 3000, ce miracle figuratif qui avait fasciné les visiteurs à l’inauguration du centre commercial, elle a regardé les corps d’enfants plongeant avec une gaieté amortie, elle a regardé les nageurs posés là-haut à la surface, elle les voyait sortir de l’eau, se hissant en raccourci sur l’échelle, le corps tronqué puis vaporisé dans l’air et la lumière, elle en voyait d’autres qui s’élançaient avec véhémence ou résignation comme des spectres effervescents et qui fondaient, fuligineux, dans la noirceur de l’eau, et elle a croisé le regard d’une femme qui nageait lentement au fond, là, si près d’elle, glissant et tâtonnant, scrutant par les hublots immenses comme si elle jetait un œil outre-tombe, regardant, cherchant ce qui était perdu, puis remontant, et revenant, souriant, remontant, fuyant très vite, et revenant.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 42, 150.

Cécile Carret, 17 mars 2012
ceinturées

Il se peut aussi que sur une promenade au mois de mai, quand le matin est beau, à la Florida ou sur le Prado elles aient aperçu en passant la courtaude silhouette embossée dans sa cape, hivernale parmi des glaïeuls, renfrognée, de l’ombre des chênes verts regardant sombrement ceux qui en plein soleil roulent voiture, portent l’habit à la française, ont les femmes les plus joliment ceinturées, les plus riantes, les mieux nommées, et quand en grand équipage arrivait don Rafaël Mengs ou le Signor Giambattista Tiepolo, elles l’ont vu faire en catastrophe deux pas, sortir de l’ombre et dans la lumière apparaître comme un oiseau de nuit surpris, lever haut le sombrero et le porter vite au giron pour la courbette, l’œil révérant porté là-haut sur l’invisible auréole du Maître trouant le grand plafond du ciel madrilène, et tout son visage tremblant dédiait à cette apparition un sourire extatique, paniqué, peut-être misérable. Et le maître saluait ce gros jeune homme qui voulait bien faire.

Pierre Michon, « Dieu ne finit pas », Maîtres et serviteurs, Verdier, pp. 13-14.

David Farreny, 26 fév. 2014
y

Étrange lieu que la solitude – sans issue lorsque l’on s’y trouve ; sans accès lorsque l’on n’y est pas.

Éric Chevillard, « jeudi 13 juin 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014

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