immoralité

Nous appelons escroc le joueur qui a trouvé le moyen de jouer à coup sûr ; comment nommerons-nous l’homme qui veut acheter, avec un peu de monnaie, le bonheur et le génie ? C’est l’infaillibilité même du moyen qui en constitue l’immoralité, comme l’infaillibilité supposée de la magie lui impose son stigmate infernal.

Charles Baudelaire, Œuvres complètes, Robert Laffont, p. 256.

David Farreny, 22 mars 2002
plein

Les Cétonidés aiment le plein midi.

Pierre Bergounioux, Le Grand Sylvain, Verdier, p. 26.

David Farreny, 22 mars 2002
aboie

Désir qui aboie dans le noir est la forme multiforme de cet être

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 437.

David Farreny, 22 juin 2002
sinon

Mais voici le plus atroce : l’art de la vie consiste à cacher aux personnes les plus chères la joie que l’on a à être avec elles, sinon on les perd.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 69.

David Farreny, 24 mai 2003
fluide

Et elle passe ses journées dans l’attente de visites qui ne viennent guère, car l’attente, la dépendance, dans la vie sociale comme dans l’amour, dégagent un fluide invisible et impalpable qui dissuade les êtres de s’empresser auprès de ceux qui souhaitent trop leur présence, et dont ils se disent, plus ou moins consciemment, pour cette raison même, qu’ils les attendront toujours.

Renaud Camus, « samedi 20 juillet 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 347.

David Farreny, 3 juil. 2005
affecté

Il est impossible de n’être pas affecté par ce qui n’est point nous. Des dispositions innées ou latentes nous rendent aimables des formes et des couleurs qui se recommandent, semble-t-il, par certains rapports où prédominent la régularité, le contraste, tandis que d’autres affligent cette part de nous-même qui, quoique immatérielle, n’en est pas moins très réelle et suprêmement ouverte au monde dont elle est flanquée. On peut se contenter de subir, de réagir instinctivement, fuir les aires maléficiées, rechercher les sources de quiétude, ainsi que fait, sans balancer, sans phrase ni pensée, tout ce qui vit. On peut aussi, à partir d’un certain âge, se demander, s’efforcer de porter dans cette clarté qui n’est que de nous, les agissements étranges auxquels on sacrifie aveuglément, depuis toujours.

Pierre Bergounioux, Sidérothérapie, Tarabuste, p. 27.

David Farreny, 2 juin 2008
conduite

— On frappe. Il n’ouvre pas. On bousille sa porte. On entre. On fouille partout. On s’explique pas.

— On dit rien. Rien.

— Ou bien on frappe, il ouvre, on lui demande une fois où est le fric, il le donne, on repart.

— Il le donne pas. On le massacre. Il le donne. On repart.

Pétapernal fit une moue. Mandex la modéra, dit en tout cas, on s’explique pas.

Ils n’avaient pas envie de se répéter ni de développer les faits que Papantoniou connaissait parfaitement. Pas les prendre pour des idiots. Ils avaient, de concert, défini une ligne de conduite qui se résumait à être bien dans toutes les situations. Faut qu’on soit bien. Quand ils se répétaient être bien, la tranche de leur main fendait l’air pour partager des plans de symétrie, bloquer des faits en volumes. Ne se chevauchaient que les projets. La peau, également, de leur front, se tendait. L’absence de rides épousait le rivage d’un bien souhaité. Le visage lisse, déserté de soucis, Mandex enfonça le bouton de sonnette d’un index net. Bien, oui, voilà. On fait ça, on appuie sur le bouton de sonnette, on n’est pas autre part. on n’hésite pas. on ne s’en parle pas. on ne se dit pas je fais ci, je fais ça, on le fait. Oui.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 54.

Cécile Carret, 9 déc. 2009
illimitation

Il est étrange de penser que ce qui fut, durant deux siècles, la souffrance de l’ère industrielle, la vibration puissante et grave des machines, ébranlant jusqu’à le ruiner le corps des travailleurs, est devenue la réjouissance des oisifs. Le pire est peut-être la cadence invariable des coups portés, l’égalité de la hauteur de la vibration, le bruit sourd et toujours identique, sans modulation, comme un symbole de l’illimitation du mal, ce qui se répète et qui ne change pas, comme un glas infernal et infini.

Jean Clair, « Agressions », Journal atrabilaire, Gallimard, p. 26.

David Farreny, 21 mars 2011
achever

Ainsi j’ai tenu. C’est pourquoi la fin de Primo Levi me peine et m’agace – oui, le mot peut surprendre, il est sincère. L’idée que cet homme a survécu à la déportation, qu’il a écrit au moins un grand livre, Si c’est un homme, sans oublier La Trêve et Le Système périodique, et qu’il se jette dans l’escalier cinquante ans après… C’est comme si les bourreaux avaient réussi, malgré l’amour et malgré les livres. Leur main a traversé le temps pour achever la destruction, qui ne cesse pas. La fin de Primo Levi m’effraie.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 35.

Cécile Carret, 2 fév. 2012
effet

Chacun devrait étudier la philosophie et les humanités autant qu’il suffit à se rendre la volupté davantage agréable. Si nos hobereaux, nos chevaliers de cour, nos comtes et d’autres encore en faisaient leur miel, ils s’étonneraient souvent de l’effet qu’a un livre. Ils croiraient à peine que Wieland rehausse le champagne, que sa riche couleur rosée, son voile d’argent et sa vapeur étoffée eux-mêmes sublimeraient le plaisir qu’offre une paysanne bonne et souple.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 133.

David Farreny, 23 oct. 2014
trésors

Tous les trésors que nous accumulons dans nos placards, dans nos armoires, dans nos tiroirs, forment ce déchet dont Emmaüs ne voudra pas.

Éric Chevillard, « mardi 11 juin 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 6 mars 2024
valeurs

L’optimisme moral a fait faillite dans les années quatre-vingt dans sa version gauchiste seulement. Il s’est ressaisi au cours de la décennie suivante et poursuit à présent son offensive sous le nom d’« éthique ». Parti, comme il se doit, des universités, il a gagné tous les secteurs de la vie sociale. Ainsi, j’appelle « gnangnan » ces discours édifiants et lénifiants censés redresser le moral des foules et que tiennent en toute occasion un syndicaliste ou un journaliste, un ministre ou un sportif, un évêque ou une chanteuse, un philosophe ou un comique, et auxquels les maîtres mots de « tolérance », de « respect », de « partage », scandés sur le mode incantatoire, donnent un certificat de moralité. Même le voyou de banlieue prompt à hurler qu’il a « la haine » finit par lâcher avec des trémolos dans la voix que « les hommes doivent s’enrichir de leurs différences » – sans s’aviser que ce fut la devise même des esclavagistes. On ne se mobilise plus pour des idées, mais pour des « valeurs » ; on ne lutte plus pour le peuple, mais pour les « vraies gens » qui ont de « vrais problèmes » dans leur « vraie vie ». L’heure est à l’« engagement citoyen » – conçu sur le modèle associatif, ou, plus glamour, sur celui des sauveurs sans frontières – au service d’une société plus « solidaire ». […] Hier encore, les projecteurs éclairaient l’intellectuel qui faisait figure de Conscience ; ils éclairent à présent la Conscience qui fait figure d’Intellectuel – preuve qu’il n’y eut jamais de meilleur combustible pour enflammer les Lumières que la mélasse des bons sentiments – et preuve, surtout, que de plus en plus de gens vivent, sans que nul s’en émeuve, en dessous du seuil de pauvreté de l’esprit critique.

Frédéric Schiffter, « Sur le gnangnan », Le philosophe sans qualités, Flammarion.

David Farreny, 26 mai 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer